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Légendes des images dans l’ordre d’apparition : « Axis » (2011), « Pack » (2021), « Excess » (2020) « Breeding (2022)
Kumi Oguro (尾黒久美) : entre-deux narratif
Temps d'écoute ⏰ 5 minutes 39
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(Le podcast est uniquement en français. Pour la traduction anglaise, vous trouverez ci-dessous le texte qui sera automatiquement traduit en anglais en cliquant sur le drapeau anglais)
Bienvenue sur Instant POD, le podcast minute de Charlène pour Sugoi Photo consacré l’actualité photographique nippone. Instant POD, c’est un mot-clé, un artiste ou une photo en lien avec cette actualité pour en découvrir plus sur la photo japonaise contemporaine.
Aujourd’hui, nous nous intéressons à la photographe Kumi Oguro.
Né en 1972 au Japon, Kumi Oguro vit et travaille depuis 1999 à Anvers, en Belgique. Après des études sur la photographie débutée en 1996 en Angleterre, la photographe a travaillé sur différents media, telles la vidéo ou les installations mixtes, avec comme sujet de recherche les liens entre les images fixes photographiques et celles mouvantes du langage cinématographique. Une recherche qui marque de son sceau toute l’œuvre de l’artiste.
Un premier livre intitulé Noise est sorti en 2008 aux éditions Le caillou bleu. Il s’agit d’après l’artiste d’une référence au « bruit blanc », signal sonore sans fréquence particulière que l’on peut entendre lors du réglage d’une radio entre deux stations. Ce son subtil, balançant entre langage et parasitage, incarne la frontière ténue sur laquelle la photographe Kumi Oguro fonde toute sa création photographique. Il s’agit de ce moment fugace entre deux états, comme suspendu dans le temps, où l’image présentée oscille entre différentes interprétations narratives.
La photographe a publié ensuite le livre « Hester », en septembre 2021, aux éditions Stockmans art books, qui a été présélectionné pour le prix du Belfast Photo festival. Cet opus tire son nom d’un des personnages phares du roman Une prière pour Owen de John Irving, paru en 1989. Hester Eastman y est présentée comme une créature chaotique, très sexuée, devenant une rock star, pourtant tout en contraste dans son amour pour un des personnages. C’est encore une fois cet « entre-deux » qui intéresse et fascine Kumi Oguro, ce moment d’indécision entre deux états ou deux actions qu’elle essaie de retranscrire dans ses photographies de sujets exclusivement féminins. Car pour elle, seules les femmes possèdent en elles cette dualité extrême alliant fragilité et force, ludique et tragique, séduisant et étrange.
Toute l’œuvre photographique de Kumi Oguro joue sur un état de malaise provoqué par des images assez simples dans leur composition, mais que l’on ne peut entièrement comprendre : on ne sait jamais exactement ce qu’il se déroule sous nos yeux, ou plus exactement, on ne peut savoir avec certitude l’action qui a pris place juste avant la prise de vue. Est-ce du jeu ou un événement macabre ? Est-ce du fétichisme de morceaux de corps telles les jambes, la chevelure ou encore les mains, ou bien la célébration du corps féminin ? Dans les images couleurs de Kumi Oguro, des femmes – ou plutôt des morceaux de femmes – prennent place dans un décor intérieur ou extérieur. Ces bouts de chair, rarement dénudés, souvent moulés dans des collants pour les jambes par exemple, semblent émerger de lieux improbables ou incongrus tels des baignoires, des placards, des rideaux ou encore des dessous de porte.
Kumi Oguro dit rêver beaucoup et s’inspirer des bribes de rêves dont elle se souvient au matin pour créer ces images sans logique, sans trame narrative, sans explication déterminée, qui sont telles des réalités alternatives à notre quotidien.
Bien que de nombreuses photographies puissent évoquer à première vue la mise en scène d’un crime ou d’un suicide, comme celle d’un corps féminin suspendu dans les airs, dont le cadrage ne montre que les jambes pendant dans le vide, avec un pied couvert d’une peinture rouge évoquant du sang, la mort n’est jamais le véritable thème de l’image. On voit ici que la photographe a expressément demandé à son modèle féminin de relever les orteils de son pied gauche, prouvant qu’elle n’est pas morte ou passive, mais bien vivante et active. Ce minuscule petit détail fait basculer l’image du statut de représentation d’un pendu à celui d’un être onirique en simple lévitation.
Le doute est donc un élément fondateur de la démarche de Kumi Oguro, qui cherche à nous montrer un au-delà de la représentation, un entre-deux narratif entre rêve et logique, entre réalité et fiction ou encore entre image fixe photographique et déroulé narratif cinématographique.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
Entretien avec Kumi Oguro (avril 2023)
Site Internet de Kumi Oguro : http://www.kumioguro.com/
Compte Instagram de Kumi Oguro : https://www.instagram.com/kumi_oguro/?hl=fr
Galerie Ibasho : https://ibashogallery.com/artists/30-kumi-oguro/overview/
Publication Hester: https://www.stockmansartbooks.be/nl/kumi-oguro-hester.html /
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Kumi Oguro