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"Autoportraits pour omiai" de Tomoko Sawada (澤田知子)
From the series OMIAI © Tomoko Sawada
Temps d'écoute ⏰ 5 minutes 10
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(Le podcast est uniquement en français. Pour la traduction anglaise, vous trouverez ci-dessous le texte qui sera automatiquement traduit en anglais en cliquant sur le drapeau anglais)
Bienvenue sur Instant POD, le podcast minute de Charlène pour Sugoi Photo consacré l’actualité photographique nippone. Instant POD, c’est un mot-clé, un artiste ou une photo en lien avec cette actualité pour en découvrir plus sur la photo japonaise contemporaine.
Aujourd’hui, nous nous intéressons au "portrait photographique de rencontre".
Le portrait photographique pour omiai (ou portrait de rencontre prénuptiale) est le sujet exclusif d’une série de 2001 de la photographe Tomoko Sawada. Intitulée Omiai, cette série constituée de 30 autoportraits est présentée jusqu’en juin 2022 dans l’exposition collective Role Play tenue à la fois à l’Observatoire de la Fondation Prada de Milan et au Prada Aoyama building à Tokyo.
Mais quelle est l’histoire de ce portrait au Japon ? Dans les siècles passés, dans l’Archipel, le portrait ou l’autoportrait n’était pas un genre pictural aussi développé qu’en Occident. Il existait bien quelques portraits de maîtres zen ou d’aristocrates, mais il semble que la pensée traditionnelle japonaise qui ne valorise pas l’ego ait été un frein à la représentation individualisée.
Les choses ont bien changé à l’ère moderne, notamment avec l’arrivée de la photographie dans l’Archipel au début de la seconde moitié du XIXe siècle. Le portrait photographique y est petit à petit devenu tout aussi courant qu’en Occident. Il a toutefois trouvé une utilité bien spéciale dans la culture japonaise contemporaine : le portrait pour omiai ou portrait de rencontre prénuptiale !
Ce portrait photographique particulier est lié à la pratique de l’omiai, le « rendez-vous arrangé » en vue d’un mariage entre deux personnes qui ne se connaissent pas. L’omiai aurait vu le jour au XVIe siècle dans les familles de samouraïs, puis il se serait étendu à toute la population. On estime qu’aujourd’hui 6% des mariages japonais se font toujours par omiai.
Ces photos sont prises du côté féminin comme masculin, même si les codes de postures et de vêtements sont plus stricts pour les jeunes filles. Ces portraits s’échangent ensuite entre les parties, souvent par l’intermédiaire des familles, qui veulent voir leur progéniture faire un bon mariage.
La photographe "aux 1000 visages" Tomoko Sawada est une adepte de l’autoportrait. Elle utilise la mise en scène photographique et sa propre personne pour explorer des questions identitaires et sociétales. Dans toutes ses séries, elle incarne divers personnages féminins pour en faire ressortir les stéréotypes : la mariée, la lycéenne, la sweet lolita, ou encore la jeune fille à marier. Elle interroge également les pratiques photographiques de notre société, comme les photos de classe, de mariage et d’omiai.
Dans cette série, Tomoko Sawada se transforme en 30 jeunes filles différentes. A l’aide de perruques, de maquillage, de costumes, elle imite les très sérieuses photos réalisées par les familles dans le but d’un omiai : il s’agit après tout de vendre sa progéniture sur photo ! La photographe copie donc la gestuelle et les attitudes de la jeune fille à marier qui doit se présenter sous son meilleur jour, en vêtements classiques et en magnifiques et coûteux furisode (le kimono à longues manches réservées aux célibataires), dans une attitude toute réservée, les pieds joints, le plus souvent les mains croisées également, le visage sérieux, les yeux fixés sur l’objectif.
La répétition de ces jeunes filles toutes semblables dans les portraits d’omiai nous fait prendre conscience de l’artificialité de ces représentations sociales de soi. En photographiant à chaque fois sa propre figure dans ses autoportraits, Tomoko Sawada démontre l’interchangeabilité de ces jeunes filles soumises à "un jeu de rôle", celui de l’enfant à caser. "Jeu de rôle", comme le titre de l’exposition de la Fondation Prada présentant actuellement la série Omiai de Tomoko Sawada.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de l’artiste : http://tomokosawada.com/
- Fondation Prada, Observatoire, Milan : https://www.fondazioneprada.org/project/role-play/?lang=en
- Prada Aoyama Tokyo : https://www.prada.com/jp/ja/pradasphere/special-projects/2022/role-play-prada-aoyama.html
- Tomoko Sawada at Rose Gallery : https://rosegallery.net/artists/54-tomoko-sawada/overview/
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo