Small Planet, quand la photographie donne à voir le monde en miniature !
écrit par Sophie Cavaliero et lu par Charlène Veillon
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A l’occasion de l’exposition « (Un)real utopia » de Naoki Honjo au Top Museum, le musée de la photographie à Tokyo, nous allons vous intéresser dans notre article à un procédé photographique particulier : le tilt-shift. Ce procédé, utilisé par Naoki Honjo, transforme les photographies d’un paysage réel, en une photographie de paysage minitature artificiel, le monde réel devenant un monde factice, où les hommes se transforment en figurines, les voitures, en jouets et les bâtiments, en décors de maquettes.
Avant de parler de la photographie de Naoki Honjo plus en détails, il semble nécessaire d'expliquer cette technique, sans partir non plus dans un débat d’expert.
Introduit dans les années 1960 dans la technologie des équipements photographiques, ce procédé a été très à la mode il y a une dizaine d’années. Il est encore utilisé aujourd’hui car intégré dans bon nombre de logiciels de retouche photographique. Le principe du tilt-shift est d’avoir une très faible profondeur de champ afin de donner un effet "maquette". Pour cela, il y a deux méthodes possibles : l’utilisation d’un objectif à bascule, ou l’usage en postproduction d’un logiciel d’édition photo.
Intéressons-nous plutôt à la technique "mécanique" : l’effet tilt-shift avec un objectif à bascule, utilisé d’ailleurs par Naoki Honjo. L’objectif à bascule permet d’incliner l’orientation des lentilles par rapport à la surface sensible du capteur. Cette inclinaison permet un réglage de la mise au point qui n’est pas le même sur toute la photographie. L’image peut alors être nette au centre de la photographie ou à un endroit choisi, et floue ailleurs. Ce type d’objectif coûte assez cher et est aujourd’hui remplacé par un logiciel de retouche en postproduction de l’image.
Vous avez maintenant bien en tête l’aspect technique. Passons au "petit monde" de Naoki Honjo, autrement dit son travail intitulé "Small Planet", publié par Little More Japan et pour lequel il a reçu en 2006 le Kimura Ihei Award. Son travail photographique est instantanément reconnaissable du fait de l’utilisation de ce procédé tilt-shift précédemment expliqué. Cependant, il est important de comprendre que Naoki Honjo n'est pas qu'un technicien. Il a la volonté de représenter notre planète dans une vision miniature pour nous interpeler sur ce que nous faisons de celle-ci. La mise à distance de notre monde par la miniaturisation de ces images idéalise notre vision, nous ramenant dans l’enfance quand on était en admiration devant des maquettes de petit train ou des pièces toutes faites en Lego. Est-ce de la nostalgie ? De la tromperie ? On ne peut s'empêcher d’aimer avoir été dupé. Assez naturellement, on réajuste dans notre tête notre vision pour obtenir une image plus proche du réel et pourtant imaginée ; puis, on la compare à ce que l'on vient de voir. Naoki Honjo a donc réussi à nous interpeler et à nous faire réfléchir sur sa photographie.
Les photographies de Naoki Honjo sont prises depuis des gratte-ciels ou des hélicoptères, à l'aide de cet objectif à bascule dont nous avons parlé. Pourquoi fait-il cela ? Tout d'abord pour des raisons techniques ! Pour bien réussir une photographie avec le procédé tilt-shift, il faut se placer en hauteur et avoir une vue en plongée. Ne regarde-t-on pas toujours une maquette de notre hauteur?
Ce positionnement en hauteur peut également être expliqué par une tradition picturale bien japonaise : la perspective "à vol d'oiseau". En effet, cette volonté de montrer le monde depuis une perspective aérienne de type "à vol d'oiseau" dans une œuvre artistique, n'est pas nouvelle au Japon. Les artistes nippons ont très tôt realisé des œuvres peintes Yamato-e avec une perspective aérienne inventive. Née au 12ème siècle, cette technique s'appelait fukinuki yatai , signifiant "toit enlevé". Elle permettait de voir les scènes dans leur entièreté (intérieur et extérieur) selon une continuité adaptée à un support particulier, un rouleau de papier de faible hauteur et de grande largeur.
Représenter notre monde vu du ciel n'est donc pas nouveau, et cela même avant l'invention des drones ! Cette perspective était imaginaire, non réelle. Aujourd'hui avec nos moyens de transport aérien, que ce soit l'hélicoptère, l'avion ou les drones, ou même la hauteur de nos habitations, les gratte-ciels allant de plus en plus haut, l'artiste a la possibilité d'utiliser cette perspective en mode réel.
Naoki Honjo n'est pas le seul à jouer avec cette perspective. D'autres photographes japonais sont également réputés pour ce type de prise de vue en hauteur, mais avec un langage artistique différent de celui de Naoki Honjo.
Le photographe Taiji Matsue fait ses photos depuis un hélicoptère. Il a deux règles de prise de vue : il exclut la ligne d'horizon et le ciel du plan de l'image. Et il utilise la lumière directe pour éviter que des ombres ne soient projetées sur son sujet. Cela crée une version plate de ce que le photographe voit au moment de la prise de vue, et le résultat questionne alors la véritable nature de la photographie.
Sohei Nishino, un autre photographe japonais réputé, donne également l'impression de nous transmettre des clichés vus du ciel. L'image est là encore trompeuse. S'inspirant du cartographe japonais du 17ème siècle, Ino Tadataka, dont les gravures réinventaient les villes qu'il avait visitées, Sohei Nishino parcourt une ville sur une période longue, explorant et photographiant ses nombreux points de vue pour "construire" son œuvre. Ensuite, il imprime avec soin les photographies et les compile pour former des "tableaux" qu'il utilise comme base pour ses photographies finales. L'effet n'est pas alors une vue à vol d'oiseau traditionnelle, mais une manière éclairée de voir les trois dimensions dans un seul plan de la photo. Bien que la précision géographique soit importante dans ce processus, les échelles peuvent être modifiées et les lieux photographiés parfois répétés, comme un souvenir erroné d’un endroit. Observées de loin, les photographies de Sohei semblent abstraites, mais si vous les regardez de près, elles sont aussi détaillées qu'un "diorama" complet de la ville.
La particularité de Naomi Honjo n'est donc pas vraiment de faire ses photographies en hauteur pour donner une vision réelle de ce qu'il voit, mais bien de transformer la réalité en autre chose. Le procédé tilt-shift n'efface pas tous les détails du paysage photographié, mais il joue avec notre point de vue, faisant chevaucher la réalité et le monde imaginaire résultant de la tranformation. Rappelons que Naoki Honjo ne manipule pas numériquement ses photos. Il doit attendre parfois plusieurs jours pour réaliser le cliché parfait.
L'année dernière Naoki Honjo a continué son illustration de l’évolution constante de la capitale nippone, avec sa série Tokyo initiée en 2016, qui témoigne du développement de la ville avec les Jeux Olympiques de 2021. Ses photographies de Tokyo offrent une nouvelle vision de cette métropole postmoderne, accentuant l'artifice de cet environnement créé par l'homme.
Pour terminer sur la photographie qui donne à voir le monde en miniature, nous allons évoquer un autre artiste japonais qui pratique la photographie de manière ludique pour nous interroger sur notre monde. Tanaka Tatsuya, une star d'Instagram, utilise sa mise en scène pour transformer l'image et non son procédé photographique. Tanaka Tatsuya poste quotidiennement depuis avril 2011 des petites scènes de vie en miniature, détournant la nature ou l'utilisation première des objets de la vie quotidienne pour pour raconter ce qu'il voit. Par exemple, dans ses posts de mars 2022, des éponges deviennent des tables de ping-pong, ou un harmonica se transforme en un bureau de poste. Écoutons l'artiste parler de son travail :
“Il y a de la joie à découvrir comment les objets peuvent ressembler à autre chose. Simplement en changeant de point de vue. Malheureusement, nous avons tendance à perdre ce point de vue ludique en devenant adultes. Nous ne réfléchissons qu'en termes de bon sens et ne percevons les choses que de manière fixe. J'essaie de changer cela.”
Naoki Honjo fait donc de même en nous ramenant à la miniature pour mieux imaginer ce que pourrait être demain et nous faire apprécier ce que l'on a aujourd'hui.
- Naoki Honjo @ Top Museum, Tokyo : https://honjonaoki.exhibit.jp/en/index.html
- Taiji Matsue@ Top Museum, Tokyo : https://topmuseum.jp/e/contents/exhibition/index-4032.html
- Taiji Matsue : https://www.taronasugallery.com/en/artists/taiji-matsue/
- Site de l'artiste Sohei Nishino : https://soheinishino.net
- Site de l'artiste Tatsuya Tanaka : https://miniature-calendar.com
Légendes
Photo 1 – “[ small planet ] Tokyo, Japan” (2006) © Naoki Honjo
Photo 2 – « JP-02 15 » 2012 ©TAIJI MATSUE / Courtesy of TARO NASU
Photo 3 – San Francisco – MAY. – SEP. 2016 – LIGHT JET PRINT/ 1700×2560 MM ©SOHEI NISHINO
Photo 4 – small planet / Tokyo, Japan / 2005 © Naoki Honjo
Photo 5 – https://miniature-calendar.com/200728 © Tanaka Tatsuya