Kumi Oguro 🎧
INSTANT POD
Légendes des images dans l’ordre d’apparition : « Axis » (2011), « Pack » (2021), « Excess » (2020) « Breeding (2022)
Kumi Oguro (尾黒久美) : entre-deux narratif
Temps d'écoute ⏰ 5 minutes 39
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Bienvenue sur Instant POD, le podcast minute de Charlène pour Sugoi Photo consacré l’actualité photographique nippone. Instant POD, c’est un mot-clé, un artiste ou une photo en lien avec cette actualité pour en découvrir plus sur la photo japonaise contemporaine.
Aujourd’hui, nous nous intéressons à la photographe Kumi Oguro.
Né en 1972 au Japon, Kumi Oguro vit et travaille depuis 1999 à Anvers, en Belgique. Après des études sur la photographie débutée en 1996 en Angleterre, la photographe a travaillé sur différents media, telles la vidéo ou les installations mixtes, avec comme sujet de recherche les liens entre les images fixes photographiques et celles mouvantes du langage cinématographique. Une recherche qui marque de son sceau toute l’œuvre de l’artiste.
Un premier livre intitulé Noise est sorti en 2008 aux éditions Le caillou bleu. Il s’agit d’après l’artiste d’une référence au « bruit blanc », signal sonore sans fréquence particulière que l’on peut entendre lors du réglage d’une radio entre deux stations. Ce son subtil, balançant entre langage et parasitage, incarne la frontière ténue sur laquelle la photographe Kumi Oguro fonde toute sa création photographique. Il s’agit de ce moment fugace entre deux états, comme suspendu dans le temps, où l’image présentée oscille entre différentes interprétations narratives.
La photographe a publié ensuite le livre « Hester », en septembre 2021, aux éditions Stockmans art books, qui a été présélectionné pour le prix du Belfast Photo festival. Cet opus tire son nom d’un des personnages phares du roman Une prière pour Owen de John Irving, paru en 1989. Hester Eastman y est présentée comme une créature chaotique, très sexuée, devenant une rock star, pourtant tout en contraste dans son amour pour un des personnages. C’est encore une fois cet « entre-deux » qui intéresse et fascine Kumi Oguro, ce moment d’indécision entre deux états ou deux actions qu’elle essaie de retranscrire dans ses photographies de sujets exclusivement féminins. Car pour elle, seules les femmes possèdent en elles cette dualité extrême alliant fragilité et force, ludique et tragique, séduisant et étrange.
Toute l’œuvre photographique de Kumi Oguro joue sur un état de malaise provoqué par des images assez simples dans leur composition, mais que l’on ne peut entièrement comprendre : on ne sait jamais exactement ce qu’il se déroule sous nos yeux, ou plus exactement, on ne peut savoir avec certitude l’action qui a pris place juste avant la prise de vue. Est-ce du jeu ou un événement macabre ? Est-ce du fétichisme de morceaux de corps telles les jambes, la chevelure ou encore les mains, ou bien la célébration du corps féminin ? Dans les images couleurs de Kumi Oguro, des femmes – ou plutôt des morceaux de femmes – prennent place dans un décor intérieur ou extérieur. Ces bouts de chair, rarement dénudés, souvent moulés dans des collants pour les jambes par exemple, semblent émerger de lieux improbables ou incongrus tels des baignoires, des placards, des rideaux ou encore des dessous de porte.
Kumi Oguro dit rêver beaucoup et s’inspirer des bribes de rêves dont elle se souvient au matin pour créer ces images sans logique, sans trame narrative, sans explication déterminée, qui sont telles des réalités alternatives à notre quotidien.
Bien que de nombreuses photographies puissent évoquer à première vue la mise en scène d’un crime ou d’un suicide, comme celle d’un corps féminin suspendu dans les airs, dont le cadrage ne montre que les jambes pendant dans le vide, avec un pied couvert d’une peinture rouge évoquant du sang, la mort n’est jamais le véritable thème de l’image. On voit ici que la photographe a expressément demandé à son modèle féminin de relever les orteils de son pied gauche, prouvant qu’elle n’est pas morte ou passive, mais bien vivante et active. Ce minuscule petit détail fait basculer l’image du statut de représentation d’un pendu à celui d’un être onirique en simple lévitation.
Le doute est donc un élément fondateur de la démarche de Kumi Oguro, qui cherche à nous montrer un au-delà de la représentation, un entre-deux narratif entre rêve et logique, entre réalité et fiction ou encore entre image fixe photographique et déroulé narratif cinématographique.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
Entretien avec Kumi Oguro (avril 2023)
Site Internet de Kumi Oguro : http://www.kumioguro.com/
Compte Instagram de Kumi Oguro : https://www.instagram.com/kumi_oguro/?hl=fr
Galerie Ibasho : https://ibashogallery.com/artists/30-kumi-oguro/overview/
Publication Hester: https://www.stockmansartbooks.be/nl/kumi-oguro-hester.html /
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Kumi Oguro
MALL|KEI ONO
VIEWING ROOM
Mall by Kei Ono
Si vous souhaitez avoir la video avec les sous-titres en anglais, cliquez ici
Kei Ono nous présente ici son projet MALL.
" Ce que je vois, c'est l'endroit où je vis. De nouveaux logements sont construits autour du centre commercial. La route est bordée de magasins d'électronique et de chaînes de restaurants, et les camions de livraison vont et viennent. C'est le genre d'endroit où nous nous vivons maintenant. Les choses que j'avais vaguement reconnues individuellement jusqu'alors semblaient être reliées aujourd'hui par le centre commercial.
J'étais convaincu que mon appareil photo, que j'utilisais depuis de nombreuses années depuis que j'étais étudiant en photographie, était adapté à ce thème. Portant le trépied de mon appareil, j'ai continué à marcher. S'agissait-il d'une extension du portrait au paysage ?"
Au travers des mots de Kyouhei Ishiguro (Directeur de l'animation, réalisateur)
"J'ai réalisé un film d'animation dans un centre commercial où "Nos mots comme des bulles", et je me suis rendu compte que même ceux qui me semblaient avoir des extérieurs et des intérieurs similaires avaient leur propre personnalité. Même si le concept est le même, en fait, ils sont souvent réalisés d'une manière qui est enracinée dans la région. Et on ne peut s'en rendre compte que si l'on observe comme si l'on regardait "dans les yeux" un centre commercial. La réalisation d'une animation peut également être décrite comme la création d'un décor, et surtout lorsque l'on considère le décor artistique de la scène, il faut prêter attention à des détails qui sont généralement négligés. C'est pourquoi j'ai pu remarquer l'individualité de chaque centre commercial.
Je ressens le même type d'observation dans ce travail. Lorsque les angles de Kei Ono découpent des détails qui sont souvent négligés, on se rend compte une fois de plus que même un endroit ordinaire est spécial pour quelqu'un. De loin, il ressemble à une énorme boîte inorganique et grumeleuse, mais à l'intérieur, de nombreuses personnes vont et viennent, et des milliers de vies organiques existent certainement. Il est rare de trouver un sujet dont l'expression change autant en fonction de l'endroit où est placé l'appareil photo.
Le centre commercial, en tant que collection de photographies, est également passionnant par la variété de ses expressions. Et comme j'ai pris des centaines de photos de centres commerciaux pour faire des dessins animés, j'éprouve une sympathie personnelle pour eux."
Pour plus de détails, vous pouvez consulter le site de Kei Ono : cliquer ici
Vous trouverez également un lien vers le site de l'éditeur : cliquer ici
Copyright Kei Ono
jidôhanbaiki / distributeur automatique 🎧
INSTANT POD
Roadside Lights I & II © Eiji Ohashi
« Distributeurs automatiques » d’Eiji Ohashi (大橋英児)
Temps d'écoute ⏰ 5 minutes 27
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Aujourd’hui, nous nous intéressons aux distributeurs automatiques du photographe Eiji Ohashi.
Il y a plus de 14 ans, Eiji Ohashi a débuté une étrange série consacrée à un objet non moins étrange : le distributeur automatique, ou jidôhanbaiki en japonais, couramment abrégé en jihanki.
Récompensé par plusieurs prix internationaux, tels le Moscow International Foto Awards (2016), le Photo-eye Best Books (2017) ou encore le Special Photographer Award du 34e Higashikawa Awards (2018), Eiji Ohashi a publié au fil des ans 3 ouvrages entièrement consacrés aux distributeurs automatiques : Roadside Lights (paru chez Zen photo gallery en 2017), Being There (en 2017, chez Case publishing), et enfin Roadside lights Seasons: Winter(chez Case publishing, en 2020).
Le jidôhanbaiki est un objet du quotidien pour les Japonais, apparu pour la première fois dans l’Archipel en 1888, mais développé en masse à partir des années 1960. Dans tout le pays, à tous les coins de rues, dans les ruelles des campagnes comme sur les avenues urbaines (surtout à Tokyo), on trouve pléthore de ces distributeurs proposant principalement de la nourriture sous vide, des paquets de cigarettes ou encore des boissons en cannettes ou en bouteilles. Ces dernières représentent à elles seules plus de la moitié du nombre de jidôhanbaikiau Japon, soit plus de 4 millions de machines au total. Sans oublier les distributeurs de marchandises plus « confidentielles », de type petites culottes neuves ou usagées, homards vivants ou encore fromage à raclette !
Pourtant, concurrencés par les supérettes konbini ouvertes 24h/24 et 7j/7, le nombre de distributeurs ne cessent de diminuer dans les centres urbains depuis le début des années 2000. Toutefois, dans les lieux les plus reculés ou les moins accessibles à l’homme – ou aux supérettes ! –, comme les montagnes d’Hokkaido, l’île la plus au nord de l’archipel nippon, où est né, vit et travaille le photographe Eiji Ohashi, le jidôhanbaiki reste une valeur sûre, pérenne, rassurante.
« Rassurant » n’est pas un vain mot dans le cas d’Eiji Ohashi, qui a fait du distributeur automatique son totem. En effet, il affirme que la présence de ces machines dans les coins les plus isolés, dépouillés de toute présence humaine, a quelque chose de l’ordre du rassurant : la lumière électrique qu’elles émettent en continu leur donne un air presque chaleureux, telle la lueur salvatrice d’un phare perdu dans l’immensité, qui vous indique que vous n’êtes pas seul au monde.
Plus que de la photographie documentaire ou anecdotique, ce sont de véritables portraits photo de ces machines que réalise Eiji Ohashi depuis 2008. Le photographe y voit en effet une similitude avec les êtres humains. Comme nous, les jidôhanbaiki sont exposés à la solitude, surtout dans les vastes espaces d’Hokkaido ; comme nous, ils doivent être attirants sous peine de disparaître, travailler sans relâche pour mieux vendre. Pour le photographe, il y a définitivement quelque chose d’humain dans ces machines serviles, esclaves de notre bien-être, que l’on ne remarque même plus, mais que l’artiste cherche à révéler par ses photographies. En d’autres termes, capturer l’invisible de notre quotidien et le dévoiler sous un jour nouveau par ses photos.
Eiji Ohashi a photographié des distributeurs automatiques sous tous les angles, à toutes les saisons, en couleurs et en noir et blanc, de jour comme de nuit. Principalement au crépuscule ou juste avant l’aube, au cœur de l’hiver enneigé, pour les photos parues dans sa dernière publication Roadside lights Seasons: Winter. Une seule constante dans toutes ces photographies : les paysages mettent en scène les distributeurs d’Hokkaido rencontrés lors des déambulations du photographe, qui se plaît à chercher de nouveaux jidôhanbaiki, comme on chercherait à rencontrer de nouveaux amis.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site Internet d’Eiji Ohashi : https://eijiohashi.com/en/works
- Publications d’Eiji Ohashi : https://eijiohashi.com/en/publishing
- Article « Les distributeurs automatiques en difficulté face aux supérettes japonaises », Nippon.com, 2018 :https://www.nippon.com/fr/features/h00258/
- Exposition : A la galerie Akio Nagasawa Gallery Aoyama https://www.akionagasawa.com/jp/exhibition/roadside-lights/
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Eiji Ohashi
Yasuhiro Ogawa 🎧
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The Dreaming © Yasuhiro Ogawa
Voyages oniriques monochromes de Yasuhiro Ogawa (小川康博)
Temps d'écoute ⏰ 4 minutes 49
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Aujourd’hui, nous nous intéressons au photographe japonais Yasuhiro Ogawa.
Né en 1968 à Kanagawa, au Japon, Yasuhiro Ogawa est diplômé en littérature anglaise. Un détail qui n’est pas si anecdotique quand on regarde les séries du photographe, toutes imprégnées de l’esprit gothique onirique et romantique si typique des œuvres littéraires anglaises.
Yasuhiro Ogawa commence sa carrière artistique professionnelle en 2000, avec l’obtention du prix Taiyo Award cette même année, lors de sa toute première exposition solo. Il remporte ensuite en 2009 le Photographic Society of Japan New Comer Award pour sa première publication intitulée Slowly Down the River. Cinq autres photobooks suivront, dont The Dreaming sorti en 2020, puis réédité en 2022 par Sokyusha et Blue lotus edition, et le petit dernier, Tokyo Silence, paru chez T&M Projects en 2022.
L’œuvre majoritairement en noir et blanc de Yasuhiro Ogawa se construit autour de ses nombreux voyages, au Japon (comme pour ses séries Okinawa, Shimagatari, Lost in Kyoto, Landscape through Windows et Tokyo Silence), mais aussi dans le monde entier (pour ses séries Slowly down the River ou encore The Dreaming).
La série The dreaming – le rêve – est un voyage géographique, passant notamment par le Japon, la Chine, le Myanmar, l’Inde, le Cambodge, le Tibet, ou encore le Guatemala. Mais elle est aussi un voyage dans le temps, dans le passé, puisque l’artiste est remonté jusqu’à près de 30 ans en arrière dans sa vie, lorsqu’il a fait ces voyages. C’est à l’orée de la cinquantaine, depuis Tokyo où il vit actuellement, que Yasuhiro Ogawa a replongé avec nostalgie dans ses multiples négatifs en noir et blanc de voyage, imprimant à la chambre ses tirages, avec l’impression de revivre un vieux rêve. Les clichés monochromes de The Dreaming – capturant ici un paysage vu depuis la fenêtre d’un train ; ici un quai de gare solitaire enneigé ; ici des autochtones dans leur quotidien – sont comme des songes troubles, où le flou de certaines images fait écho à l’impression de vieux souvenirs d’un autre monde. Un monde romantique, onirique, comme en sommeil, à l’image des personnes croisées dans des trains, somnolant ou dormant profondément.
Avec sa toute dernière série, Tokyo Silence, Yasuhiro Ogawa fait encore un voyage, cette fois-ci sensoriel, entre la Chine et le Japon. Cette série en noir et blanc est née d’un constat : l’opposition entre le bruit assourdissant de la ville chinoise, fait de cris, de klaxons, de haut-parleurs, et le calme profond et étrange de la capitale nippone, où personne ne parle fort dans les transports, personne ne crie dans la rue, personne ne klaxonne. Il y a bien un bruit de fond perpétuel à Tokyo avec les publicités des écrans géants, les sons des salles de jeux, la musique des magasins, mais ce n’est pas le bruit de l’activité humaine chinoise. Le photographe dit avoir essayé de capturer par son Leica ce silence paradoxal. Cela a donné vie à des images de foule, de vitesse, mais où la mise au point sur des visages humains toujours calmes, avec peu d’expression, renvoie au « silence de Tokyo » de Yasuhiro Ogawa.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de Yasuhiro Ogawa : https://ogawayasuhiro.com/
- Instagram de Yasuhiro Ogawa : https://www.instagram.com/yasuhiropics/?hl=fr
- Blue lotus gallery, Hong Kong : https://bluelotus-gallery.com/
- https://la-chambre-claire.fr/livre/yasuhiro-ogawa-the-dreaming/#tab-description
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Yasuhiro Ogawa
« Tekiya » par Yang Seung-Woo 🎧
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Temps d'écoute ⏰ 5 minutes 01
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Aujourd’hui, nous nous intéressons à la série Tekiya du photographe Yang Seung-Woo (梁丞佑).
Cette série se concentre sur le monde à la fois festif et inquiétant des tekiya, ces marchands ambulants japonais, tenanciers des stands de nourriture et de jeux présents dans tous les festivals et fêtes populaires, ou encore le long des allées menant aux temples et sanctuaires. Après plus de 10 ans de travail, les photographies couleurs inédites de Tekiya viennent de paraître, en novembre 2022, dans un catalogue publié par la galerie tokyoïte Zen Photo Gallery. On y découvre un témoignage contrasté, alternant ambiances de fêtes et scènes de vie des tekiya, ces forains que l’on considère à l’origine des yakuza, la mafia japonaise.
Le photographe Yang Seung-Woo, d’origine coréenne, arrivé au Japon en 1996, diplômé du Nippon Photography Institute et de l’université polytechnique de Tokyo, est un habitué des portraits « en immersion » de personnages à la limite de la marginalité sociale. Sa série la plus iconique, The Best Days, parue en 2012, est consacrée au quotidien du crime organisé nippon, Yang Seung-Woo ayant été amené à fréquenter des yakuza en Corée et au Japon.
Pour la série Tekiya, le photographe a côtoyé ces forains pendant plus de 10 ans. Sa série débute en 2011 lorsque, par nécessité financière, il répond à une annonce pour un job de vendeur sur un stand ambulant de restauration. Il lui faudra attendre un an avant de trouver l’occasion – et le temps ! – de sortir son appareil photo pour immortaliser de l’intérieur cette atmosphère qui le fascine. Devenu selon ses propres termes le roi des yakisoba (les nouilles sautées) et de l’okonomiyaki (sorte de crêpe épaisse salée aux accompagnements variés), Yang Seung-Woo a d’abord cherché à capturé l’ambiance des matsuri, pour se rendre compte au final que sa série était en fait centrée sur les acteurs de ces fêtes, autrement dit les tekiya.
C’est pourquoi cette série alterne des scènes très variées, alliant des plans larges de la foule devant les stands, la préparation de la nourriture, les forains comptant leurs recettes… Ou encore des images plus intimes des back stages de cette vie éreintante et difficile, où l’on peut voir un tekiya endormi sous sa plaque à friture, une marchande changeant son nouveau-né posé sur une glacière entre deux ventes de nourriture, et des hommes nus dans un bain public, se détendant après une dure journée de labeur.
La série Tekiya possède aussi un versant plus sombre, car elle ne cache rien des appartenances sociales de certains forains. On y voit donc des hommes couverts de tatouages, au petit doigt amputé d’une phalange – apanage des yakuza –, ainsi que des photographies rares de rituels du Nouvel An célébrés en grande pompe par des membres du crime organisé.
Tekiya pose un regard à la fois tendre et sans concession sur ces personnes à la vie rude, parfois à la limite de la marginalité, que Yang Seung-Woo a côtoyées au plus près. En 2019, la Zen Photo Gallery a tiré 700 exemplaires d’une nouvelle édition de The Best Days, celle de 2012 étant depuis longtemps épuisée. Ce fut également l’occasion d’exposer 30 photographies de cette incroyable série totalement consacrée aux yakuza, dans leur intimité la plus crue. Un événement qui ne se reproduira pas de sitôt puisque le photographe, jeune papa en 2018, n’exposera plus cette série pour ne pas risquer de choquer un jour sa fille, avant que celle-ci n’ait 20 ans. Un bien long sommeil pour les yakuza de Yang Seung-Woo.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de Yang Seung-Woo (en japonais) : https://photoyang.jimdofree.com/
- Instagram de Yang Seung-Woo : https://www.instagram.com/yangtarou/?hl=fr
- Zen Photo Gallery : https://zen-foto.jp/en/artist/yang-seung-woo
- Zen Photo Gallery/Mark Pearson, Tekiya, 2022 : https://www.shashasha.co/en/book/tekiya-2
- Zen Photo Gallery, The Best Days, 2019 : https://www.shashasha.co/en/book/the-best-days-new-edition-1
- https://pen-online.com/fr/arts/plongee-intime-dans-lunivers-violent-des-yakuza/
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Yang Seung-Woo
Decotora, l’art du camion tuné 🎧
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Midnight emperor, Shiga, 2002, C-print © Tatsuki Masaru
Temps d'écoute ⏰ 4 minutes 56
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Aujourd’hui, nous nous intéressons à la série Decotora du photographe Tatsuki Masaru (田附勝).
Cette série haute en couleurs, débutée en 1998 et toujours en cours, se concentre sur le « decotora », l’art nippon du camion tuné, autrement dit le fait de modifier visuellement l’aspect d’un camion en y ajoutant peinture, néons, pièces de carrosserie ou encore accessoires intérieurs, afin de le personnifier et de le rendre unique. Une pratique qui se serait développée dans les années 1970 au Japon, et qui a pris le nom de « decotora » (ou « dekotora), calqué sur l’anglais « decorated trunk », soit littéralement « camion décoré ».
Tatsuki Masaru documente depuis plus de 20 ans la communauté japonaise des chauffeurs routiers. Dans toutes ses séries, le photographe s’adonne à une description quasi anthropologique de nos sociétés, que ce soit à travers des photographies de danses folkloriques, de chasseurs du Tohoku, de pêcheurs ruraux, ou encore de ces petites mains invisibles de l’approvisionnement que sont les chauffeurs de camion.
C’est avec cette série que Tatsuki Masaru a publié son premier ouvrage en 2007, Decotora, paru aux éditions Little More. Entre 2020 et 2021, le photographe a réalisé 12 nouveaux clichés, parus dans un nouvel opus aux éditions T&M Projects, sous le titre Decotora – Hachinohe. Plusieurs de ces photographies ont été montrées pour la première fois cet été 2022 à la Gallery Side 2, à Tokyo, avec la particularité d’être présentées dans un cadre métallique arborant les mêmes couleurs flashy que les camions à l’image.
Comment cette série a-t-elle débuté ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne s’agit pas de photographies d’un fan absolu de tuning de camion. Ce n’est pas une photographie de hobby, pas plus qu’une recherche esthétique. Même si la beauté de ces images mêlant néons, peintures métallisées et pare-chocs flamboyants est indéniable, celle-ci est une conséquence et non un but. La mise en lumière de ce style décoratif particulier résulte à l’inverse du constat de l’invisibilité de la communauté des chauffeurs routiers dans nos sociétés, pourtant totalement dépendantes d’eux.
Tatsuki Masaru raconte avoir pris conscience de ce fait lors d’une expérience professionnelle. Chauffeur-livreur à temps partiel pour payer les factures, il a croisé sur la route ses premiers camions customisés. C’est en côtoyant cette communauté qu’il s’est rendu compte qu’il ne savait rien du style de vie de ces routiers, ou de la façon dont ils parvenaient à créer de tels décors peints, de lumière et de carénage. Le photographe a alors suivi un routier dans son decotora afin de mieux comprendre ces hommes qui passent la majeure partie de leur vie dans leur camion. C’est à partir de là que Tatsuki Masaru a débuté sa série en 1998.
Decotora s’intéresse au monde des routiers, et notamment à la fierté de cette communauté paradoxalement discrète - pour ne pas dire secrète -, mais pourtant ultra voyante dans ses véhicules. La série met en avant les différents décors que le photographe a pu croiser, représentant les espoirs des routiers, leurs familles, ou encore leurs prières face à un travail où ils risquent chaque jour leur vie sur la route pour nous apporter tout le confort moderne.
Plus qu’un documentaire, la longue série Decotora de Tatsuki Masaru est un magnifique hommage à ces chevaliers de la route, tout fringants dans leurs destriers de fer brillant de mille feux.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de Tatsuki Masaru : https://tatsukimasaru.com/
- Gallery Side 2 : https://www.galleryside2.net/en/artists/masaru-tatsuki/
- Little More Books, Decotora, 2007 : http://www.littlemore.co.jp/enstore/products/detail.php?product_id=326
- T&M Projects, Decotora – Hachnohe, 2021 : https://www.tandmprojects.com/collections/t-m/products/decotora-hachinohe
- Instant POD Shishi odori de Tatsuki Masaru : https://www.sugoi.photo/arret-sur-image/shishi-odori-masaru-tatsuki/
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Tatsuki Masaru
Cerf-volant japonais, série Wadako 🎧

The Itō-san-chi-no-tako-kōbō workshop (ville de Hamamatsu, département de Shizuoka, 2018), série Wakado de Mami Kiyoshi
© Mami Kiyoshi
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Temps d'écoute ⏰ 4 minutes 41
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Aujourd’hui, nous nous intéressons aux « wadako », les cerfs-volants japonais.
Wadako est le titre d’une série de la photographe Mami Kiyoshi. Depuis 2003, son travail photographique suit un même processus documentaire rigoureux, toujours identique : Mami Kiyoshi rencontre un modèle, elle se rend ensuite chez lui ou dans un lieu lié à son histoire personnelle. Elle y reste 2 jours, le premier étant consacré à un long entretien avec le modèle sur sa vie privée et professionnelle. Le second est dédié à l’installation d’une mise en scène du modèle parmi les objets qui le représentent le mieux, et au shooting. En phase finale, Mami Kiyoshi numérise les photographies argentiques, et retravaille les couleurs et les contrastes pour en faire ressortir les détails.
Cette logique de la photographie documentaire, presque de l’archive du quotidien, a été transposée en 2018 au monde japonais du cerf-volant. Dans la série Wadako – qui signifie littéralement « cerf-volant japonais » –, plusieurs artisans, parmi les derniers ateliers nippons de cerfs-volants existant encore, ont été photographiés dans leur environnement de travail, entourés par leurs créations.
Cette série est présentée à l’Institut français du Japon – Kansai, Kyoto tout le mois d’octobre dans le cadre du festival Nuit blanche.
La série Wadako – Histoires de cerfs-volants japonais est née de la collaboration entre la photographe japonaise Mami Kiyoshi et la chercheuse française Cecile Laly, spécialiste de la culture cerf-voliste nippone. En effet, constatant le lent déclin de cet artisanat traditionnel après la Seconde Guerre mondiale, conséquence de la modernisation et l’Occidentalisation du pays, Cecile Laly a eu l’idée de lancer un projet d’étude afin de répertorier cet artisanat dans un catalogue. Mais plutôt que de se concentrer sur les cerfs-volants, elle a choisi de mettre en lumière les ateliers de fabrication.
D’après ses recherches, les cerfs-volants seraient arrivés au Japon au VIIIe siècle, mais probablement nés en Asie du Sud-Est. Les cerfs-volants traditionnels japonais sont faits en washi, un papier léger et solide fabriqué artisanalement à partir de fibres de mûriers, collé sur une armature en bambou ou en bois de cyprès. Le cerf-volant nippon est un objet plat, dont les formes et les motifs peuvent varier selon chaque région et même chaque atelier.
Au Japon, le cerf-volant a un usage principalement festif. Dès le XVIIe siècle, on sait par des représentations qu’il était un divertissement populaire pour petits et grands, principalement associé à la Fête des garçons du 5 mai. Même s’il existe actuellement divers festivals dédiés aux cerfs-volants, avec réalisation de pièce géante ou bataille de cerfs-volants, cet artisanat traditionnel est aujourd’hui en grand danger de disparition, les ateliers s’éteignant avec leurs artisans âgés.
C’est donc l’histoire de ces gens, pour qui le cerf-volant représente toute leur vie, qui est immortalisée dans la série Wadako, dont les portraits relèvent à la fois de la photographie documentaire, de l’archive, du témoignage historique et de la photo plasticienne avec ce travail de la lumière quasi pictural si typique de l’œuvre de Mami Kiyoshi.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Mami Kiyoshi :
- Cecile Laly : https://kyoto-seika.academia.edu/CecileLaly
- Charlène Veillon, « Tako, entretien avec Cecile Laly, spécialiste des cerfs-volants japonais », Koko, 2021, p. 42-51.
- Charlène Veillon, « Portraits intimes, les photographies de Mami Kiyoshi », Koko, 2021, p. 52-55.
- Cerfs-volants du Japon, à la croisée des arts, dir. Cecile Laly, 2021, Nouvelles éditions Scala.
- Nuit blanche – Institut français du Japon Kansai-Kyoto : https://nuitblanche.jp/fr/evenements/wadako-histoires-de-cerfs-volants-japonais
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Mami Kiyoshi
Yu Hirai, Entre chien et loup🎧
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Titre : Entre chien et loup, 2003, Analog C-print © Yu Hirai
Temps d'écoute ⏰ 5 minutes 33
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Bienvenue sur Instant POD, le podcast minute de Charlène pour Sugoi Photo consacré l’actualité photographique nippone. Instant POD, c’est un mot-clé, un artiste ou une photo en lien avec cette actualité pour en découvrir plus sur la photo japonaise contemporaine.
Aujourd’hui, nous nous intéressons à la série « Entre chien et loup » de la photographe Yu Hirai (ひらいゆう).
Entre chien et loup est principalement constitué de portraits, celui de Yu Hirai ou des membres de sa famille. Ce sont des portraits le plus souvent réalisés en intérieur, dans divers lieux de vie de l’artiste, mais qui donnent presque toujours à voir un espace extérieur – un bout de ciel, un paysage, une façade d’immeuble – par le biais d’une fenêtre ouverte ou d’un balcon. La série Entre chien et loup illustre ce moment précis quand la lumière naturelle du jour décroît et qu’elle laisse place à celle artificielle des habitations. La silhouette à l’image marque ainsi une sorte de seuil à mi-chemin entre l’intérieur et l’extérieur, ces derniers étant symboliquement représentés par les couleurs dominantes rouge et bleue. Pour l’artiste, la couleur bleue exprime le monde extérieur, la réalité objective et l’inconnu. Le rouge, quant à lui, représente ses souvenirs, ses rêves, son univers intérieur. Cette rencontre de deux atmosphères colorées symbolise l’expression « entre chien et loup » qui définit le crépuscule, quand on ne distingue plus très bien les choses et que tout devient flou. C’est pourquoi les portraits de cette série ne sont en réalité que des silhouettes opaques, obtenues par une mise au point sur l’arrière-plan extérieur et non sur le visage.
Entre chien et loup, une des premières séries de Yu Hirai, débutée en 1997, est toujours en cours. Iconique, cette série de tirages argentiques couleurs concentre toutes les interrogations intimes qui émailleront le parcours de l’artiste. Exposée jusqu’au 15 octobre au Salon d’art à Bruxelles, la série Entre chien et loup est également présentée au DongGang International Photo Festival à Séoul, en Corée, visible jusqu’au 30 juin 2023.
Yu Hirai est née en 1963 à Tokyo. Elle s’installe en 2002 à Paris où elle réside toujours.
Photographe, mais plus généralement artiste multimédia, Yu Hirai articule toutes ses créations autour du concept d’identité. A mi-chemin entre la tradition japonaise du journal intime et l’abstraction pop aux couleurs acidulées, Yu Hirai nous révèle sur papier photo un interstice de liberté où réalité et fiction peuvent se mêler sans se heurter.
Avec le recul, Yu Hirai voit aujourd’hui dans les portraits sans visage d’Entre chien et loup, un écho aux non-dits et aux secrets qui ont marqué sa jeunesse au Japon. En effet, c’est seulement à l’âge de 20 ans, alors qu’elle s’apprêtait à partir étudier en Belgique, que Yu Hirai a appris de la bouche de sa mère que son père n’était pas japonais. Ses parents à lui étaient des Coréens qui avaient émigré au Japon dans les années 1920. Bien que né et ayant grandi au Japon, son père s’était vu retirer sa nationalité japonaise après la défaite de 1945 et le retour à l’indépendance de la Corée. Ayant choisi de rester dans le pays où il avait grandi, il vécut apatride jusqu’à la fin de ses jours. Une situation complexe, rendue plus pénible encore par des discriminations persistantes, qui encouragèrent beaucoup d’immigrants de pays colonisés par le Japon à dissimuler leurs origines. Son père ne lui a jamais raconté son histoire. Elle l’a découverte par bribes, au fil des ans, par sa mère.
Nul doute que la découverte de ce passé explique le rapport étrange que Yu Hirai entretient dans ses photos avec les notions d’intérieur et d’extérieur (uchi et soto en japonais), très importantes dans l’Archipel puisqu’elles définissent largement les rapports entre les personnes, selon que l’on se trouve dans la famille ou dans la sphère collective.
Cette découverte a surtout sensibilisé Yu Hirai aux questions identitaires qui jalonnent toutes ses séries, quand la grande Histoire rejoint celle plus intime des familles.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de Yu Hirai : https://www.yuhirai.com/
- Galerie Les Bains révélateurs : https://www.lesbainsrevelateurs.com/works/entre-chien-et-loup/
- Le Salon d’art : http://www.lesalondart.be/
- DIPF 2022 : https://www.dgphotofestival.com/2022dipfopencall
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Yu Hirai
Shishi odori 🎧
INSTANT POD
"shishi odori", la danse estivale pour l’âme des cerfs
Série TOHOKU - Tatsuki Masaru (田附勝)
1- A Tree with Attached Eyes Tono, Iwate, November 2008
2- Deer Blood, Kamaishi, Iwate, February 2009
3- Shikaodori in Natsuya Area, Kawai Village Miyako, Iwate, October 2009
all pictures © Tatsuki Masaru
Temps d'écoute ⏰ 7 minutes 16
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Aujourd’hui, nous nous intéressons à la danse "shishi odori".
Traditionnellement, au Japon, la période estivale rime avec Obon, un festival bouddhiste honorant les esprits des ancêtres. De nos jours, Obon est avant tout un fête familiale durant laquelle les gens retournent dans leur ville natale et s’occupent des tombes de leurs ancêtres. Obon se déroule sur 3 jours, originellement du 13 au 15 juillet, mais le passage au calendrier occidental grégorien dans la seconde moitié du XIXe siècle a déplacé cette fête à la mi-août dans de nombreuses régions. Obon rythme donc tout l’été nippon, au gré de ses lanternes allumées pour guider l’esprit des morts et de ses danses pour se rappeler les disparus.
Si le "bon odori" (danse du Bon) est la plus emblématique des danses de la période estivale, d’autres prennent également place durant l’été, toujours en rapport avec la mort et l’âme des défunts. C’est notamment le cas du "shishi odori", la danse des cerfs.
Le shishi odori est originaire du Tohoku, région située sur la côte est de l’île principale Honshu. Constituée de montagnes et de forêts, la nature du Tohoku est sauvage et riche en gibiers. Par tradition, c’est un territoire de chasse. Cette vie rude et belle a été immortalisée entre 2006 et 2010 par le photographe Tatsuki Masaru (田附勝), dans sa série intitulée sobrement "Tohoku". C’est en suivant un groupe de chasseurs de cerfs que Tatsuki Masaru a commencé à photographier autant les chasseurs que leur proie.
De sa première série "Decotora" débutée en 1998 consacrée au tuning extrême des camions japonais, jusqu’à la série "Tohoku", Tatsuki Masaru s’est attaché à une description quasi anthropologique de nos sociétés. Par son objectif, il témoigne aussi bien de la dure réalité solitaire du camionneur que de la rude existence des habitants des montagnes ou de l’implacable réalité de la chasse.
Parmi les images en couleurs de la série "Tohoku", on trouve bon nombre de photos de cerfs abattus, parfois écorchés, parfois uniquement des os, parfois simplement leurs bois, parfois un garçon tenant fièrement le cœur de la bête en trophée, ou juste le sang encore chaud de l’animal sur la neige immaculée des montagnes. La rudesse de ces photos fait écho à la rudesse de la vie de ces villageois.
Pourtant dans cette région, l’animal est l’objet d’une vénération ancestrale bien particulière. Traditionnellement, dans le folklore du Tohoku, mélange des religions shinto, bouddhiste et de pensées animistes, l’esprit des animaux tués lors de la chasse est remercié par une offrande sous la forme d’une danse. C’est là l’origine du shishi odori.
La danse shishi odori (鹿踊り, que l’on peut également traduire par shika odori, littéralement "la danse du cerf / du chevreuil / du daim", est une offrande pour remercier les esprits des animaux qui ont donné leur vie – et leur viande – pour nourrir les humains.
Originellement, depuis ses débuts au XVIe siècle, puis lors de l’ère Edo (1603-1868), principalement dans les préfectures d’Iwate et de Miyagi, les performances de shishi odori se déroulaient durant la période estivale d’Obon. Les danses étaient alors pratiquées après une chasse, les danseurs se produisant avec les crânes des chevreuils tués. Aujourd’hui, le shishi odori est aussi pratiqué lors d’évènements festifs liés aux bonnes récoltes ou en hommage aux défunts, par exemple lors des fêtes commémoratives des morts du 11 mars 2011, lorsque le tsunami a frappé les côtes du Tohoku.
Certaines sources avancent que la danse shishi odori s’inspire des mouvements d’un cerf sauvage, d’autres qu’elle mime les gestes d’un agriculteur (le chevreuil étant traditionnellement associé au monde agricole). Toujours est-il que les masques des danseurs, noirs ou rouges, représentant la tête d’une créature imaginaire proche du lion, doivent être surmontés de bois de cervidés. Les chasseurs ont donc pour rôle central de fournir une partie des costumes des danseurs de shishi odori, ce que soulignent les photos de Tatsuki Masaru.
Par un cruel hasard du destin, la série du photographe a été publiée en juillet 2011, juste après la tragédie qui a dévasté les villages photographiés par Tatsuki Masaru. Bon nombre de chasseurs, de danseurs et de costumes ont été emportés par la vague. Ces images ont donc un rôle mémoriel tout particulier, comme si l’âme de ces gens – et des animaux – avait été imprimée sur papier avant leur disparition physique. Ce coup du sort a marqué le photographe qui a poursuivi après 2011 son travail sur les chasseurs de cerfs du Tohoku, dans ce qu’il restait de leur région dévastée. Il a ainsi réalisé en novembre 2011 le documentaire "Is the blood still red?", ou encore les séries "Never Again" sur le renoncement d’un chasseur suite à la découverte de substances radioactives dans la nourriture des cerfs, et "Kuragari", sur sa rencontre nocturne avec un cerf dans une forêt.
C’est comme si Tatsuki Masaru était hanté par l’esprit des cerfs du Tohoku depuis sa rencontre avec les chasseurs. Peut-être est-ce là la clef de la compréhension du shishi odori : une célébration de la vie qui passe et se transmet entre les êtres encore vivants.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de Tatsuki Masaru : https://tatsukimasaru.com/
- Tatsuki Masaru, Tohoku, éditions Little More, 2011.
- https://www.galleryside2.net/en/artists/masaru-tatsuki/
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Tatsuki Masaru
Instagram #002 – kawada_kikuji
Chaque semaine ce photographe publie ses créations – à suivre assurément !
© Kikuji Kawada
Quelques éléments de biographie
Photographe japonais emblématique, Kikuji Kawada s’est fait connaître grâce à sa photographie poétique et hautement symboliquement. Son corpus d’œuvres évolue sans cesse depuis la période d’après-guerre.
En tant que cofondateur du collectif VIVO en 1959, ce photographe a partagé une vision créative du potentiel expressif et individualiste de la photographie avec d’autres membres, dont Hosoe Eikoh, Narahara Ikko, Tōmatsu Shōmei et Satō Akira. Kawada a tenu sa première exposition personnelle l’année de la formation de VIVO, avant d’exposer The Map (Chizu) en 1961 au Fuji Photo Salon de Tokyo. Aujourd’hui, The Map (Chizu) est reconnu comme l’un des exemples les plus importants de la culture unique du livre photo d’après-guerre au Japon, incorporant du texte, des surfaces abstraites et des images fragmentaires pour composer une élégie complexe et méditative du Japon de cette période. Une autre publication, Sacré Atavism (1971), comprend six chapitres traitant du grotesque qui mettent en évidence le fort anti-classicisme et la vision individuelle de Kawada.
Kawada s’est forgé une réputation aux États-Unis grâce à son inclusion dans l’exposition New Japanese Photography au Museum of Modern Art de New York en 1979. Sa série la plus longue et la plus renommée The Last Cosmology a été capturée entre 1980 et 2000. Initialement publié en plusieurs parties dans les années 1980, il a été compilé dans une publication et une exposition personnelle en 1995. La série relie apparemment les drames du ciel à la fin de deux époques historiques sur terre : l’ère « Showa » avec la mort de l’empereur au Japon et le 20ème siècle. Kawada a reçu le prix annuel de la Société photographique du Japon en 1996 ainsi que le prix de la photographie nationale au Festival international de photographie de Higashikawa la même année.
En 2011, Kawada a reçu un prix pour l’ensemble de ses réalisations de la Photographic Society of Japan, soulignant sa renommée internationale et nationale, et il a été honoré d’une exposition personnelle à l’exposition de la Tate – Conflict, Time, Photography (2014). Son travail est conservé dans les collections permanentes d’institutions telles que le Tokyo Metropolitan Museum of Photography, Japon, le San Francisco Museum of Modern Art, MoMA, New York, le Centre Pompidou et le Center for Creative Photography, University of Arizona.
MANTIS 🎧
INSTANT POD
"Mantis religiosa", la mante religieuse par Yutaka Takahashi
©️ Yutaka Takahashi, MANTIS
Temps d'écoute ⏰ 5 min 32
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Aujourd’hui, nous nous intéressons à la mante religieuse !
« […] d’intérêt au moins égal à celui de la cigale, mais de célébrité bien moindre, parce qu’elle ne fait pas de bruit […], la bête qui prie Dieu […] est Mante Religieuse. » Cette citation, empruntée à l’entomologiste de renom Jean-Henri Fabre (1823-1915), ouvre l’étrange recueil photographique Mantis religiosa, du photographe Yutaka Takahashi. Paru en 2020 aux éditions iKi, ce livre sert d’écrin à de magnifiques macrophotographies couleurs de mantes religieuses, prises sur le vif dans la nature japonaise. Il renferme également en préface, une création littéraire commandée pour l’occasion, intitulée "Prière au jardinet", de Marie Berne, auteure du roman Le grand amour de la pieuvre paru aux éditions L’Arbre Vengeur.
Cette série sera présentée du 11 juin au 13 août 2022 à la médiathèque André Malraux, galerie Nadar, à Tourcoing.
Originaire du bassin méditerranéen, la mante religieuse s’est répandue en Asie jusqu’au Japon. C’est la rencontre de l’insecte dans le courant de l’année 2015 avec le photographe Yutaka Takahashi qui a donné vie à cette série. L’artiste raconte dans l’ouvrage Mantis comment il s’est trouvé tout à coup fasciné par cet insecte à qui il n’avait jamais vraiment porté attention jusque-là. Sorti dans son jardin de beau matin avec son appareil, il cherchait un sujet à photographier. Son regard s’est alors posé sur une mante religieuse accrochée au mur de sa maison. Il est instantanément tombé sous le charme de cet être qui semblait le fixer de ses immenses yeux, puisque la mante, en plus d’avoir une excellente vision en relief, est le seul insecte à pouvoir faire pivoter sa tête à 180°. Ce qui lui permet de suivre du regard les déplacements de ses proies ou tout point d’intérêt, sans bouger son corps. A l’image de l’homme, la mante peut réellement vous fixer et vous suivre de son regard.
Pendant 15 jours, Yutaka Takahashi s’est livré à une sorte de cache-cache avec «sa» mante, jusqu’à ce qu’il la retrouve en fin de vie dans un pot de fleurs. C’est là l’origine de la série Mantis religiosa, une ode entièrement dédiée à cet insecte si particulier.
Facilement détestée du fait de sa réputation de cannibale (elle mange généralement son mâle après l’accouplement), cette petite bête gagne pourtant à être connue. L’ouvrage Mantis nous la révèle sous différents aspects, de son éclosion à ses prédations, en passant par sa beauté élégante avec ses deux pattes avant mimant le geste d’une prière – d’où son nom de mante «religieuse».
Laissez-vous séduire par ces photographies surprenantes, entre l’archive entomologique et l’ode à la nature et à la vie.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de Yutaka Takahashi : https://500px.com/p/yutakatakahashi1?view=photos
- Livre : Takahashi Yutaka, Mantis religiosa, iKi éditions, 2020.
- Exposition de la série Mantis religiosa à la médiathèque André Malraux, Tourcoing, 11 juin-13 août 2022 : https://mediatheque.tourcoing.fr/opacwebaloes/index.aspx?IdPage=113&oaq[uid]=10080586
-
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image ©Yutaka Takahashi
Photogramme 🎧
INSTANT POD
Others From the Future de Ken Kitano (北野謙)

Others from the Future N3, Chromogenic print (Photogram), 196x127cm, 2018 ©️ Ken Kitano with courtesy of MEM Gallery
Temps d'écoute ⏰ 5 min 13
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Aujourd’hui, nous nous intéressons au "photogramme".
Le photogramme se définit comme une image photographique obtenue sans utiliser d’appareil photographique. On obtient un photogramme, aussi appelé "dessin photogénique", lorsque l’on place un ou des objets sur une surface photosensible, et que l’on expose le tout assez longuement directement à la lumière naturelle ou artificielle.
Pour ses photogrammes tirés de sa série Others From the Future, le photographe japonais Ken Kitano a eu recours à un papier photosensible couleur grand format, un espace entièrement plongé dans le noir et… un bébé !
Partons donc à la découverte de cette intrigante série, nous interrogeant sur la vie elle-même, son origine, son avenir.
Ken Kitano a reçu de nombreux prix prestigieux pour son travail photographique qui se concentre majoritairement sur l’être humain et les rapports sociaux que nous entretenons dans le monde contemporain. Une de ses séries les plus iconiques est Our face. Il s’agit de portraits étranges, en noir et blanc, tirés à échelle humaine, dont l’aspect flouté – fantomatique presque – est dû à la technique du photographe. Ken Kitano fait plusieurs portraits de diverses personnes ayant un même métier ou un lien en commun. Puis, dans son laboratoire, il superpose les négatifs des portraits et réalise un tirage regroupant toutes ces personnes sur une même image, abolissant ainsi toutes frontières sociales au profit d’une unité de l’humain.
La série de photogrammes Others From the Future qui nous intéresse est née de la rencontre fortuite de Ken Kitano avec une obstétricienne qui avait découvert sa série Our Face en 2011 au Tokyo Metropolitan museum of photography. C’est elle qui lui a demandé s’il serait intéressé par une série sur les bébés. Ken Kitano a alors visité sa clinique et a commencé à photographier des nouveau-nés.
Il a ensuite expérimenté ses premiers photogrammes. Il a placé des bébés âgés entre 2 et 6 mois sur une plaque transparente posée au-dessus d’un papier couleur photosensible. Le bébé bougeant pendant le long temps d’exposition, il était impossible de prédire le résultat final. Or ce qui est apparu à l’image, c’est une forme rouge vif. Ces formes d’un rouge éclatant sont les silhouettes des bébés se découpant sur un fond noir.
Dans le texte publié dans son livre Others From the Future, paru chez Bookshop M en 2021, Ken Kitano raconte l’étrange sentiment qu’il a expérimenté face à ces petits êtres qui n’existaient dans ce monde que depuis quelques heures. Il a alors commencé à s’interroger : d’où viennent les bébés ? Dans quel genre de monde existent-ils avant d’entrer dans le nôtre ? Retournerons-nous un jour dans cet autre monde ?
L’hypothèse à laquelle il est parvenu est que peut-être le monde "en dehors de celui-ci" d’où viennent les bébés est rouge… Mais si nous, de notre monde, nous voyons ces images en rouge et noir, quel serait alors l’effet inverse ? Autrement dit, quelle couleur prendrait la vie vue de l’autre monde ? Ce questionnement lui a inspiré la production d’images inversées, en positif, créant des silhouettes roses sur un fond blanc, déclinées ensuite en bleu ou blanc, etc.
A l’inverse des photogrammes de bébés du photographe anglais Adam Fuss, les silhouettes de Ken Kitano ne semblent pas nager en plein liquide amniotique. Les bébés sont plutôt comme en apesanteur dans un monde éthéré différent du nôtre. Cet effet est encore accentué par l’échelle imposante des tirages réalisés grandeur nature, avec parfois plusieurs bébés à l’image.
Les photogrammes de Ken Kitano interrogent le regardeur sur son origine, sur l’au-delà de notre monde et de notre perception. Où allons-nous ? D’où venons-nous ? From the future peut-être…
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
Texte écrit et lu par Charlène Veillon
Site officiel de l’artiste : http://www.ourface.com/english/works/ourface.html
Sa galerie à Tokyo présentant le livre : https://mem-inc.jp/2021/08/15/kenkitano2021_en/
Pour en savoir plus, vous pouvez visionner les photos de l'exposition , cliquez ici
Publication Others From the Future, série limitée à 500 exemplaires : https://www.shashasha.co/en/book/others-from-the-future
Crédit podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Ken Kitano
NEKO 🎧
INSTANT POD
"Neko", le chat dans la photographie japonaise contemporaine
Dans l’ordre d’apparition ©Shoji Ogawa / Hiromi Kakimoto / Toshiko Hashimoto. Ce projet est présenté cet été en Italie, cliquer ici pour plus de détails.
Temps d'écoute ⏰ 6 minutes 19
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Aujourd’hui, nous nous intéressons au chat dans la photographie japonaise contemporaine.
Neko est le mot japonais pour désigner le chat. C’est aussi le titre d’un projet initié en 2017 par la collectionneuse et spécialiste de la photographie japonaise Sophie Cavaliero. Neko Project s’articule autour du rapport particulier entretenu de tout temps entre les chats et le Japon, vu à travers la photographie nippone. Neko se décline en une publication parue en 2019 aux éditions iKi, ainsi qu’en diverses expositions tenues en 2019 en France, en Belgique et en Hollande, et en 2022 en Italie. 1
Pour la petite histoire, en 2017, 87 photographes japonais ont répondu à l’appel à projet Neko lancé par Sophie Cavaliero. Un jury, composé de galeristes, de directeurs photo et de photographes, a sélectionné 10 projets présentés en détails dans l’ouvrage Neko. Le livre expose également les autres propositions, de manière plus rapide, avec en bonus un article sur Kai Fusayoshi, que l’on peut considérer comme le précurseur de cette «photographie de chat» mise en lumière dans l’ouvrage.2
Le projet est parti du constat de l’omniprésence des chats dans la culture japonaise. En littérature, avec par exemple le roman du début du XXe siècle Je suis un chat de Sôseki Natsume, critique acerbe de la société de Meiji à travers le regard d’un chat ; ou encore du livre de 1936 Le Chat, son maître et ses deux maîtresses écrit par Jun’ichiro Tanizaki, où la petite chatte Lily sert d’otage à un trio amoureux. Les chats au Japon sont aussi omniprésents dans le quotidien des gens, dans le folklore ou encore dans la culture populaire, de la star bientôt quinquagénaire Hello Kitty au célèbre maneki-neko, en passant par les chats du studio Ghibli. Ils sont enfin logiquement des muses pour de nombreux photographes japonais, de Chiro, le chat mourant de Nobuyoshi Araki, à Sasuke, le chat perdu et retrouvé de Masahisa Fukase.
Prenons l’exemple de Shoji Ogawa 3, dont la photographie de portrait d’un chat orne la couverture du livre Neko. Cette photo couleur d’une tête de chat, de face, en gros plan, regardant fixement l’objectif de ses grands yeux jaunes, nous touche par son expressivité. Le regard de ce chat nous impressionne par sa quasi « humanité ». Chacun peut y lire une sorte de résignation contemplative. Car les chats photographiés par Shoji Ogawa ne sont pas les gros matous des maisons, dorlotés par leurs maîtres. A l’instar des sans-abris ou des petites gens photographiés sur le vif par Shoji Ogawa, ce sont des chats errants, souvent mal en point, aux portraits « volés » dans la rue, lorsque leur route a croisé celle du photographe, au détour d’une ruelle de la ville d’Osaka. D’où le titre de sa série : Nekojigoku, l’enfer des chats…
La photographe Hiromi Kakimoto (垣本泰美) 4 a proposé pour Neko Project une série intitulée Nekomata. Cette série en couleur trouve ses racines dans l’intérêt de l’artiste pour les histoires, les mythes et les légendes se cachant toujours derrière la narration d’une image. Hiromi Kakimoto s’est penchée sur le folklore nippon mettant en scène des chats. Il est dit que les gros chats dotés d’une longue queue, passés un certain âge, peuvent se transformer en nekomata, littéralement "chat à la queue fourchue", une créature surnaturelle au caractère mauvais, pouvant jouer de très vilains tours aux humains. Bien loin de l’image kawaï (adorable) que l’on prête aux chats la plupart du temps, les photographies de Hiromi Kakimoto nous montrent l’ambivalence de ce félin tour à tour mignon et effrayant.
Toshiko Hashimoto (橋本 とし子) 5 a proposé pour Neko une série de photographies prises plusieurs années auparavant, liées à ses propres souvenirs. Intitulée Nyah and Shah, ces photos intimes mettent en scène les deux anciens chats de la photographe nommés Nyah (onomatopée japonaise correspondant au "miaou" français) et Shah, d’après le son du premier miaulement entendu du chaton. Nyah et Shah ont débarqué une nuit dans la petite maison en bois de l’artiste, et y ont élu domicile. L’œil attendrie de leur maman humaine d’adoption s’est alors amusé à capturer mimiques et postures sur papier photo, formant aujourd’hui, bien après leur mort, un émouvant souvenir d’un bonheur partagé entre les chats et l’humain.
Neko project est une illustration photographique de cette histoire d’amour ininterrompue entre les chats et les Japonais.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de Neko Project : http://neko-project.com/ + Neko Project, iKi Editions, Sophie Cavaliero
- Cet article est proposé en libre accès sur votre site SUGOI Photo. Kai Fusayoshi : carte féline de Kyôto, par Cecile Laly : https://www.sugoi.photo/bain-darret/kai-fusayoshi-cecile-laly/
- Shoji Ogawa :
https://www.instagram.com/shoji_ogawa/
https://www.instagram.com/shoji_ogawa_unlimited/
https://www.instagram.com/shoji_ogawa_meow/ - Hiromi Kakimoto : http://www.hiromikakimoto.com
- Toshiko Hashimoto : http://neko-project.com/toshiko-hashimoto/
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo
#001 – tomokosawada_artist
Photographe japonaise, Tomoko Sawada travaille depuis toujours sur l’autoportrait et la question de l’identité. Exposée dans le monde entier et dans les musées les plus réputés, Tomoko continue de creuser le même sillon adaptant son propos à l’actualité mondiale tout en gardant sa culture japonaise de la photographie. Plus que jamais, la question de l’identité fait partie de nos plus grandes interrogations et Tomoko est là pour nous aider dans notre réflexion et nous ravir avec la magie de ses photos.
Pour plus d’information, cliquez ici
© Tomoko Sawada
Hideka Tonomura 🎧
INSTANT POD
Hideka Tonomura 殿村任香
©️ Hideka Tonomura, « die of love », « mama love » and « Shining Woman #cancerbeauty »
Temps d'écoute ⏰ 5 min 32
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Aujourd’hui, nous nous intéressons à la photographe Hideka Tonomura.
Née en 1979 à Kobe au Japon, Hideka Tonomura est désormais une photographe incontournable. On a pu la découvrir dernièrement dans des expositions majeures de photographie. Son travail suscite l’engouement non seulement des collectionneurs avertis mais aussi des femmes s’identifiant aux préoccupations de la photographe. Hideka permet aux femmes d’affronter leur quotidien grâce à la beauté et l’authenticité de ses photographies.
Alors où peut-on découvrir cette artiste ?
Tout d’abord à Paris, à la Maison Européenne de la Photographie - MEP à Paris dans l’exposition Love Songs. Hideka Tonomura y est présente avec sa série «mama love» qu’elle a publiée en tant que livre photo (son premier) en 2008 avec Akaaka Art Publishing. «mama love» révèle un sujet terriblement intime - la vie amoureuse et sexuelle de sa mère. Hideka Tonomura photographie avec une étrange complicité sa mère qui, dans certains clichés, regarde droit dans l’objectif. Au fur et à mesure de la série, Hideka illustre une histoire humaine puissante et profonde (une histoire d'amour au-delà des tabous) sans volonté d’être consensuelle ou voyeuse. Elle transforme un sujet intime et personnel en une histoire universelle se mettant sur les rangs des plus grands photographes. Au sein de cette exposition, Hideka Tonomura nous montre comment l’amour transforme le monde et comment une photographe en témoigne tout en provocation et pudeur, nous rendant spectateur de ce grand questionnement sur les relations familiales et les relations amoureuses.
Hideka Tonomura réédite cet exploit photographique de transformer un récit personnel en un sujet universel avec son projet SHINING WOMAN PROJECT qui a suscité l’attention durant le festival Kyotographie à Kyoto au Japon par la "SHINING WOMAN PARADE”.
Ce projet a démarré par un évènement personnel, son cancer du col de l’utérus. Lors de son hospitalisation, Hideka Tonomura rencontre des femmes qui, malgré la maladie, sont étincelantes de vie. Touchée par ces rencontres, elle lance son projet - SHINING WOMAN PROJECT - afin de les célébrer. Depuis 2019, la photographe parcourt le Japon pour rencontrer les femmes qui l’ont contactée via le compte Instagram du projet (hideka_tonomura) et réalise des portraits de femmes qui combattent un cancer changeant ainsi le regard sur les cancers et les femmes touchées par cette maladie. C’est donc la première fois qu’un défilé réunit tous les participants et sympathisants de ce projet. La "SHINING WOMAN PARADE” a permis de diffuser le message à un public plus large, message que j’espère sera entendu d’Europe malgré les restrictions de voyage !
Hideka Tonomura était aussi présente à Kyotographie dans l’évènement « 10/10 Celebrating Japanese Women Photographers » présentée à l’HOSOO GALLERY avec une autre série «die of Love », considérée par l’artiste comme son propre « théâtre d’amour ». Les photographies nous plongent dans son univers personnel avec des couleurs intenses, des flous signifiants et un angle de perspective introspectif. Ses photos sont comme un journal intime qui guérit, lui permettant de partager ses joies et ses peines pour mieux nous parler de la vie et de la mort elles-mêmes. Voici quelques mots de la photographe :
(Traduction française)
« L'amour n'a pas de forme
Si l'amour a une forme,
que ce soit une photographie à la toute fin
Ce n'est que du papier
Juste un rire -
La vie elle-même est ridicule, après tout
Ah, juste une tragi-comédie "
— Hideka Tonomura, "die of love"
Pour finir, n’oublions pas son exposition “Love” à venir à sa galerie japonaise, Zen foto galerie à Tokyo, du 3 juin au 2 juillet 2022. Cette expositions sera comme une sorte de rétrospective pour mieux apprécier l'intégralité des oeuvres d'Hideka Tonomura.
Au nom de de toutes les femmes, un grand merci à Hideka Tonomura !
Texte écrit par Sophie Cavaliero et lu par Charlène Veillon
Site officiel de l’artiste :
Kyotographie 2022 :
MEP 2022 - Love songs - 30 mars au 21 août 2022 :
ZEN_FOTO - Love - 3 juin au 2 juillet 2022
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Hideka Tonomura
Zaido 🎧
INSTANT POD
"Rituel Zaido" par Yukari Chikura (地蔵ゆかり)

Zaido © Yukari Chikura. Cette série est présentée en ce moment à Kyotographie 2022, cliquer ici pour plus de détails.
Temps d'écoute ⏰ 5 minutes 37
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(Le podcast est uniquement en français. Pour la traduction anglaise, vous trouverez ci-dessous le texte qui sera automatiquement traduit en anglais en cliquant sur le drapeau anglais)
Bienvenue sur Instant POD, le podcast minute de Charlène pour Sugoi Photo consacré l’actualité photographique nippone. Instant POD, c’est un mot-clé, un artiste ou une photo en lien avec cette actualité pour en découvrir plus sur la photo japonaise contemporaine.
Aujourd’hui, nous nous intéressons au "rituel Zaido".
Le rituel shintoïste Zaido, mêlant rites purificateurs et danses sacrées, est le sujet principal d’une série de la photographe Yukari Chikura. Intitulée Zaido, cette série a remporté de nombreux prix, dont le STEIDL BOOK AWARD en 2016, qui a abouti à une luxueuse publication en 2020. Ce photo book a notamment été élu meilleur livre photo de 2020 par Vogue, Vanity Fair ou encore LensCulture, parmi d’autres.
La série Zaido est entrée en 2013 dans les collections de la Bibliothèque Nationale de France. Elle est également présentée ce printemps 2022 à la HOSOO gallery, à Kyoto, dans le cadre du prestigieux festival international de photo Kyotographie, qui fête cette année son 10e anniversaire.
Yukari Chikura, compositrice musicale de formation, est arrivée à la photographie et au rituel Zaido suite à une série de tragédies personnelles. La mort subite de son père des suites d’un cancer, ainsi qu’un grave accident dont elle a failli ne pas réchapper, ajoutés au traumatisme du séisme, du tsunami et de l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, ont ravagé Yukari Chikura, la plongeant dans une profonde dépression. Elle raconte qu’ensuite, son défunt père lui est apparu dans un rêve, lui enjoignant de se rendre dans un village retiré dans le nord-est du Japon où il avait un jour vécu.
Obéissant à ce songe, Yukari Chikura, appareil photo en main, a initié un étrange pèlerinage qui l’a conduite dans un lieu profondément enfoui sous la neige. Dans un froid hivernal glacial, avec des températures pouvant descendre jusqu’à -20 degrés, elle a découvert le Zaido, ce rituel vieux de 1300 ans, encore pratiqué de nos jours par quelques rares villages.
C’est la résilience du Zaido à travers le temps et l’abnégation des populations locales à perpétuer ce patrimoine sacré qui ont redonné un sens à la vie de Yukari Chikura. Année après année, elle photographie les pratiquants de ce rituel, créant ainsi une série poétique empreinte de mystère et de spiritualité, où la beauté se cache derrière chaque flocon de neige.
Tous les 2 janvier, bien avant l’aube, les locaux, petits et grands, bravent la neige et le froid pour se rassembler afin de pratiquer le Zaido. Issu du shintoïsme, la religion animiste du Japon, ce rituel mêle pratique ascétique de purification et danses pour les divinités, afin de s’assurer bonne fortune et protection.
La série Zaido est constituée de photographies en couleurs (avec quelques noir et blanc), combinant paysages de neige à la limite de l’abstraction, et clichés de danseurs ou d’ascètes. On y voit, par exemple, un homme quasi nu, vêtu uniquement d’un fundoshi, le sous-vêtement traditionnel masculin, agenouillé dans la neige, en train de pratiquer un mizugori, une cérémonie d’ablutions purificatrices dans l’eau glacée du petit matin. Tout cela afin d’être pur avant sa danse. L’image en couleur semble floue, car constellée de petites taches blanches. Il s’agit de flocons de neige, l’image ayant été prise en plein blizzard.
Un autre cliché en noir et blanc présente en son centre un interminable escalier de pierre, traversant une forêt de résineux gigantesques, le tout sous la neige. Yukari Chikura explique que lorsqu’elle a découvert cet escalier, elle a pensé que si elle parvenait jusqu’en haut, comme les courageux locaux lors des cérémonies, peut-être qu’elle pourrait y rencontrer son père défunt, cet escalier faisant le lien entre le monde d’en bas et le divin.
Yukari Chikura dédie ces clichés qui lui ont quasiment sauvé la vie, à l’espoir qui peut naître dans le désespoir.
Charlène Veillon - Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de l’artiste : https://www.yukari.chikura.me/
- Kyotographie 2022 : https://www.kyotographie.jp/en/exhibitions/2022/yukari-chikura/
- Article sur la série Zaido: https://dozodomo.com/bento/2021/05/04/yukari-chikura-et-les-danses-rituelles-japonaises-zaido-vieilles-de-1300-ans/
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image © Yukari Chikura
Autoportrait de rencontre 🎧
INSTANT POD
"Autoportraits pour omiai" de Tomoko Sawada (澤田知子)

From the series OMIAI © Tomoko Sawada
Temps d'écoute ⏰ 5 minutes 10
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Aujourd’hui, nous nous intéressons au "portrait photographique de rencontre".
Le portrait photographique pour omiai (ou portrait de rencontre prénuptiale) est le sujet exclusif d’une série de 2001 de la photographe Tomoko Sawada. Intitulée Omiai, cette série constituée de 30 autoportraits est présentée jusqu’en juin 2022 dans l’exposition collective Role Play tenue à la fois à l’Observatoire de la Fondation Prada de Milan et au Prada Aoyama building à Tokyo.
Mais quelle est l’histoire de ce portrait au Japon ? Dans les siècles passés, dans l’Archipel, le portrait ou l’autoportrait n’était pas un genre pictural aussi développé qu’en Occident. Il existait bien quelques portraits de maîtres zen ou d’aristocrates, mais il semble que la pensée traditionnelle japonaise qui ne valorise pas l’ego ait été un frein à la représentation individualisée.
Les choses ont bien changé à l’ère moderne, notamment avec l’arrivée de la photographie dans l’Archipel au début de la seconde moitié du XIXe siècle. Le portrait photographique y est petit à petit devenu tout aussi courant qu’en Occident. Il a toutefois trouvé une utilité bien spéciale dans la culture japonaise contemporaine : le portrait pour omiai ou portrait de rencontre prénuptiale !
Ce portrait photographique particulier est lié à la pratique de l’omiai, le « rendez-vous arrangé » en vue d’un mariage entre deux personnes qui ne se connaissent pas. L’omiai aurait vu le jour au XVIe siècle dans les familles de samouraïs, puis il se serait étendu à toute la population. On estime qu’aujourd’hui 6% des mariages japonais se font toujours par omiai.
Ces photos sont prises du côté féminin comme masculin, même si les codes de postures et de vêtements sont plus stricts pour les jeunes filles. Ces portraits s’échangent ensuite entre les parties, souvent par l’intermédiaire des familles, qui veulent voir leur progéniture faire un bon mariage.
La photographe "aux 1000 visages" Tomoko Sawada est une adepte de l’autoportrait. Elle utilise la mise en scène photographique et sa propre personne pour explorer des questions identitaires et sociétales. Dans toutes ses séries, elle incarne divers personnages féminins pour en faire ressortir les stéréotypes : la mariée, la lycéenne, la sweet lolita, ou encore la jeune fille à marier. Elle interroge également les pratiques photographiques de notre société, comme les photos de classe, de mariage et d’omiai.
Dans cette série, Tomoko Sawada se transforme en 30 jeunes filles différentes. A l’aide de perruques, de maquillage, de costumes, elle imite les très sérieuses photos réalisées par les familles dans le but d’un omiai : il s’agit après tout de vendre sa progéniture sur photo ! La photographe copie donc la gestuelle et les attitudes de la jeune fille à marier qui doit se présenter sous son meilleur jour, en vêtements classiques et en magnifiques et coûteux furisode (le kimono à longues manches réservées aux célibataires), dans une attitude toute réservée, les pieds joints, le plus souvent les mains croisées également, le visage sérieux, les yeux fixés sur l’objectif.
La répétition de ces jeunes filles toutes semblables dans les portraits d’omiai nous fait prendre conscience de l’artificialité de ces représentations sociales de soi. En photographiant à chaque fois sa propre figure dans ses autoportraits, Tomoko Sawada démontre l’interchangeabilité de ces jeunes filles soumises à "un jeu de rôle", celui de l’enfant à caser. "Jeu de rôle", comme le titre de l’exposition de la Fondation Prada présentant actuellement la série Omiai de Tomoko Sawada.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de l’artiste : http://tomokosawada.com/
- Fondation Prada, Observatoire, Milan : https://www.fondazioneprada.org/project/role-play/?lang=en
- Prada Aoyama Tokyo : https://www.prada.com/jp/ja/pradasphere/special-projects/2022/role-play-prada-aoyama.html
- Tomoko Sawada at Rose Gallery : https://rosegallery.net/artists/54-tomoko-sawada/overview/
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo
Third Wave Feminism 🎧
INSTANT POD

NAGASHIMA Yurie, Self-Portrait (Brother #32A), série Self-Portrait, 1993. Collection of the artist © Yurie Nagashima.
Temps d'écoute ⏰ 5 minutes 34
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Aujourd’hui, nous nous intéressons au thème de "la troisième vague féministe".
L’expression "Third Wave Feminism" (3e vague féministe) désigne une nouvelle vague féministe apparue aux Etats-Unis au début des années 1990, regroupant diverses revendications politiques et pratiques artistiques de tous les pays, et surtout de tous les groupes minoritaires et communautaires où les femmes sont doublement marginalisées ou stigmatisées.
D’octobre 2021 à mars 2022, le musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa, au Japon, a accueilli une exposition où la commissaire Yurie Nagashima, photographe japonaise, a choisi de challenger les images produites par 10 artistes photographes et vidéastes nippons sous l’angle de la 3e vague féministe.
Intitulée en français "Contre-mesures envers les discours maladroits : du point de vue de la 3e vague féministe", cette exposition offrait une interprétation féministe originale d’œuvres produites depuis les années 1990 par des artistes japonais femmes et hommes qui ne se revendiquent pas féministes.
Mais qu’est-ce que le féminisme et qu’a-t-il à voir avec la photographie japonaise contemporaine ? La commissaire Yurie Nagashima est partie du constat de sa propre expérience d’artiste ayant fait ses débuts en 1992. Elle fut une pionnière de l’exposition de soi photographique au féminin, inspirant à sa suite toute une génération de photographes femmes travaillant sur et avec leur corps. Son travail d’autoportraits d’alors mettant en scène son corps nu, son quotidien ou sa famille a très vite été catalogué par les critiques masculins d’onnanoko shashin, autrement dit de "photo de fille". Comme si parler du corps féminin se réduisait à une catégorie sociale ou de genre, voire même à un sujet secondaire « de fille ». La série Self-portraits de Yurie Nagashima, initiée en 1992 mais toujours en cours, a petit à petit révélé la force féminine de la photographe et le pouvoir de l’autoportrait en tant que geste féministe radical s’opposant au regard et aux valeurs patriarcales.
Pour Yurie Nagashima, la 3e vague féministe japonaise a pris place dans ce contexte artistique d’invisibilité forcée, où se définir féministe était quasiment impossible. C’est ce constat que Yurie Nagashima a voulu interroger en invitant des artistes ayant travaillé sur le sujet féminin sans pour autant s’exprimer sur la question féministe.
Prenant elle-même part à l’exposition, Yurie Nagashima a exposé des tirages de sa série Self-portraits, dont une photographie de 1993 en noir et blanc d’elle-même, nue, allongée sur le ventre sur un futon aux côtés de son frère, également nu, dans la maison familiale. Cette mise en scène avait pour but d’interroger la tendance contemporaine japonaise de la photographie "hair nude", mettant exclusivement en scène des femmes nues, de façon frontale, exposant leurs poils pubiens. La pilosité intime est toujours très taboue au Japon et son exposition est légalement interdite, mais sous couvert de "photo artistique", le "hair nude" montrait le corps de la femme comme un unique objet du désir masculin pour le regard masculin.
Cette exposition était donc un défi, proposant des réinterprétations féministes d’images produites depuis les années 1990 sur le sujet féminin, dans ce contexte particulier de la 3e vague féministe japonaise, où la photographie de femme par les femmes ne pouvait être jusqu’à présent qu’une onnanoko shashin, une photographie pour fille. Le dialogue initié dans cette exposition permettra peut-être une légitimation féministe du regard sur le corps féminin.
Charlène Veillon - Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
Ressources :
- Site officiel de l’artiste : https://yurienagashima.com/
- Galerie de l’artiste : https://www.mahokubota.com/en/artists/yurie-nagashima/
- Exposition au musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa : https://www.kanazawa21.jp/fr/data_list.php?g=155&d=35
- Autres expositions récentes :
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo
Fleurs de cerisier 🎧
INSTANT POD
Fleurs de cerisiers de Risaku Suzuki (鈴木理策)

From the series « Sakura »
<13,4-33>, 2013
47.25 x 61 inch chromogenic print
© Risaku Suzuki
Temps d'écoute ⏰ 4 minutes 41
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Aujourd’hui, nous nous intéressons aux « fleurs de cerisiers » !
La fleur de cerisier est le sujet exclusif d’une série du photographe Risaku Suzuki intitulée Sakura, le nom japonais de la fleur de cerisier. Sujet à la fois banal et érudit, la fleur de cerisier est omniprésente dans la culture japonaise traditionnelle. Mais quelle est sa place dans la photo de Risaku Suzuki ?
Risaku Suzuki photographie depuis plus de 20 ans des fleurs de cerisiers. Il alimente chaque printemps sa série Sakura, qui continue à être présentée internationalement, comme en avril-mai 2021 à la galerie Danziger aux Etats-Unis.
Chaque année au Japon, vers la fin mars, débute la floraison de cette petite fleur pâle si importante dans la culture nippone. Les Japonais se réunissent alors sous les cerisiers en fleurs pour pique-niquer et pratiquer le ohanami, la célébration de cette fleur qui ne vit que peu de temps. Sa beauté est donc intrinsèquement liée à son «éphémérité ».
Bien que Risaku Suzuki s’intéresse à d’autres motifs naturels, comme les montagnes, la mer, la neige ou encore les nénuphars, la série Sakura est une des plus iconiques du photographe. Elle est constituée de tirages couleurs grands formats réalisés à partir de plan-films de 10 sur 12 cm ou même 20 sur 25, ce qui permet des détails extraordinaires à l’image. On y voit en plan rapproché des branches de cerisiers chargées de grappes de fleurs blanches ou rose pâle, se découpant sur un fond de ciel bleu.
La construction de l’image est littéralement «renversante», puisque la prise de vue s’effectue en contre-plongée, donnant au regardeur l’impression de se trouver sous les branches du cerisier, comme s’il levait la tête vers le ciel pour admirer les sakuras.
Toutefois, Risaku Suzuki réduit la profondeur de champ à un seul point, ce qui donne à tout le reste de l’image un effet flou, cotonneux, premier plan et arrière-plan se mélangeant. Pour le photographe, obliger le regardeur à chercher des yeux le point de netteté dans l’image est important, car il affirme que son travail porte essentiellement «sur la vision et le temps».
- La vision, parce que regarder une sakura depuis le sol est un défi visuel sans fin : chaque fleur a sa beauté propre, et pourtant il est impossible de toutes les voir, sur toutes les branches, dans toutes les grappes. Le regard se focalise fatalement sur quelques-unes uniquement, comme le point de netteté de l’image de Risaku Suzuki.
- Le temps, parce que la fleur de cerisier étant éphémère, elle oblige Risaku Suzuki à accourir chaque année dans les parcs à l’exact bon moment pour ses photographies. Marqueurs temporels de l’arrivée du printemps, les sakuras symbolisent à la fois un cycle répétitif annuel et un passage fugace sur terre. Elles incarnent donc à la fois une éternité et un instant.
Plus que la représentation d’un symbole national de beauté, la série Sakura de Risaku Suzuki est en réalité une ode aux trésors de la nature.
- Site officiel de l’artiste : http://www.risakusuzuki.com/en/
- Galerie de l'artiste au Japon : https://www.takaishiigallery.com/en/archives/19745/
- Galerie Danziger : https://www.danzigergallery.com/exhibitions/risaku-suzuki-sakura
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo
11 mars 2011 🎧

© Yuki Iwanami
Temps d'écoute ⏰
11 minutes
INSTANT POD
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11 mars 2011 - 11 mars 2022, photographies de la vie après la catastrophe par Yuki Iwanami (岩波友紀)
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo
Pour ce SUGOI POD de mars 2022, l’actualité nous porte vers un sujet grave : le 11e anniversaire de la catastrophe survenue le 11 mars 2011 au Japon. Ce jour-là, un séisme, suivi d’un tsunami, ont ravagé la côte est du pays, entraînant une catastrophe nucléaire dans la centrale de Fukushima. Depuis cette date fatidique du 11 mars 2011 jusqu’à aujourd’hui, de nombreux artistes, dont de nombreux photographes, ont ressenti le besoin de se rendre sur les lieux du drame. Que ce soit pour aider, critiquer, témoigner ou encore documenter les événements qui se sont acharnés sur cette région. Documenter l’humanité face à la catastrophe est justement un des sujets de prédilection du photojournaliste japonais Yuki Iwanami, que l’actualité place aujourd’hui sous les projecteurs de SUGOI POD ! En effet, sa récente série Threads in the dark, consacrée au difficile et lent retour à la normalité des habitants sinistrés du Tohoku, vient de remporter en 2021 le prix du musée mémorial de photographie Irie Taikichi.
Qui est Yuki Iwanami ? Né en 1977 à Nagano, il a débuté sa carrière de photojournaliste en 2001. Carrière qui l’a mené à couvrir des sujets difficiles au Cambodge, au Pakistan ou encore en Afghanistan, mais aussi à documenter le désastre nucléaire de Fukushima et les dévastations du tsunami de 2011. En 2003, il commence à travailler pour le journal japonais Yomiuri Shinbun, considéré comme un des quotidiens les plus vendus au monde. Ses photos de presse ont remporté de nombreuses récompenses, dont par exemple le Prix de la photographie Paris en 2013 avec sa photo intitulée « Privée de sa mère par le tsunami ». Cette image en noir et blanc montre en son centre la petite Yuzuha Suzuki, 2 ans, dans les bras de son père, dans la ville d’Onagawa, complètement détruite par la vague. La fillette, privée de sa mère et de son foyer, regarde l’objectif. Son père, de dos, essaie de se frayer un chemin parmi les carcasses de voitures et de débris divers.
La photo de presse tient une place importante dans l’histoire de la photographie japonaise. Elle se développe dans les années 1930, soutenue par l’essor des journaux et la création des premiers magazines photographiques. Elle pose les bases de la photographie documentaire des années 1950, qui témoignera de la réalité sociale et des misères de l’après-guerre. Cette tendance documentaire a fait son come-back sur la scène artistique nippone après la tragédie de 2011.
Yuki Iwanami, photographe freelance depuis 2015, a donc la particularité de se partager entre photojournalisme et photographie d’art. La frontière entre les deux genres est très mince, voire même totalement perméable, lorsque l’on parle de photographie documentaire ou de la veine réaliste. Les dernières séries de Yuki Iwanami que nous allons maintenant découvrir ne sont pas des photos de presse, même si leur but est bien de témoigner d’une situation difficile. L’œuvre photographique primée Threads in the dark, littéralement « fils dans l’obscurité », est une illustration de la résilience des festivals de la région du Tohoku, qui continuent malgré tout à se produire dans les zones sinistrées. Une décennie après la catastrophe, la vie est toujours très pénible pour les locaux qui n’ont parfois jamais retrouvé de maison décente, et qui vivent encore dans des abris à l’origine temporaires. La communauté locale, ou ce qu’il en reste, organisant ces festivals avec les moyens du bord depuis 2011, est d’un grand soutien moral et psychologique pour ces populations fragilisées.
Les photographies de Yuki Iwanami démontrent le besoin social humain viscéral derrière l’apparente futilité d’une fête. Cette série capture la réalité des survivants du 11 mars 2011, qui tentent « un retour à la normale » dans un monde encore totalement chamboulé.
Attardons-nous un instant sur quelques images tirées de cette magnifique et touchante série en couleurs. Ici, une miko, une prêtresse shintô, pose seule en tenue traditionnelle blanche et rouge sur une plage. Il faut savoir que chaque année, à la date anniversaire du 11 mars, des cérémonies religieuses se tiennent sur les plages en mémoire des disparus emportés par la vague. Là, une photo de danseurs en costumes traditionnels s’inclinant devant des statues de divinités bouddhiques faisant face à la plage ; divinités censées protéger les habitants des foudres de l’océan. Là encore, la photo d’un vieux cliché en noir et blanc abîmé par les éléments, représentant des danseurs locaux de shishi odori, « la danse des cerfs ». Traditionnellement, les performances de shishi odori se déroulent durant la période estivale d’Obon, une fête bouddhiste honorant les esprits des ancêtres. Mais le shishi odori, par ailleurs originaire du Tohoku, est aussi pratiqué en hommage aux défunts lors des festivals. Une autre photographie montre sur un fond noir, un masque brisé de danseur. Retrouvé dans les débris après le passage de la vague, ce masque nous regarde du seul œil qui lui reste. Dans Threads in the dark, Yuki Iwanami montre les liens tissés entre les populations et leurs festivals locaux, qui ont résisté ensemble à la vague et aux secousses. Comme le titre l’indique, Threads in the dark montre des hommes, des femmes, des enfants unis les uns aux autres comme reliés par des fils invisibles qui transcendent l’obscurité.
Yuki Iwanami a réalisé d’autres séries témoignant des terribles souffrances des populations ayant vécu la tragédie du 11 mars 2011. Prenons l’exemple de la série One last hug (un dernier câlin) éditée en 2020. Cette série mêle photographies et récits centrés sur trois pères qui continuent de rechercher leur enfant disparu, emporté par le tsunami. Car aujourd’hui, 11 ans après la catastrophe, un peu plus de 2 500 personnes sont toujours portées disparues, pour environ 16 000 morts... La série se déroule dans 3 lieux particulièrement touchés par la vague : l’école élémentaire municipale Okawa de la ville d’Ishinomaki, la ville de Minamisoma, et celle d’Okuma. One last hug témoigne du désir naturel des pères de savoir ce qu’il est advenu de leurs enfants, jamais retrouvés. Il s’agit d’une mise en lumière de parents qui se sentent oubliés du reste de la population et des autorités, trop pressés de tourner la page. Ces familles ne peuvent pas faire le deuil, mais elles continuent leur bataille solitaire, encouragées par quelques miracles récents comme le corps de cette femme de 61 ans retrouvé en 2021, 10 ans après sa disparition. Les photos couleurs de One last hug vous prennent à la gorge. Comme ces images de vêtements d’enfants couverts de la boue du tsunami, disposés à plat, reprenant la forme d’un petit corps. La série alterne des photographies en plan large d’efforts de recherche à grande échelle, avec des zooms sur des objets de disparus retrouvés ensevelis dans le sol. On trouve aussi des souvenirs plus personnels, comme des images de veillées à la bougie ou des textes et dessins d’enfants.
Ces photographies nous confrontent aux questions difficiles et douloureuses de la perte, du deuil, du souvenir. Ces fantômes d’enfants disparus, dont il ne reste que quelques vêtements sur une image, semblent nous interroger sur le sens même de l’existence.
En termes de réponse, c’est la Cour suprême du Japon qui s’est adressée à ces familles à la fin de l’année 2019, en confirmant la décision de justice de 2016, puis de 2018, d’accorder l’équivalent de plusieurs millions d’euros aux parents de 23 enfants ayant trouvé la mort le 11 mars 2011 à l’école primaire Okawa d’Ishinomaki. Pour la triste histoire, ce jour-là, 74 élèves ont péri emportés par les eaux (64 morts et 10 portés disparus exactement), suite à l’inaction de la direction de l’école. En effet, après les premières secousses, la direction avait donné l’ordre aux enfants et aux instituteurs d’attendre dans la cour de récréation, où ils ont perdu plus de 40 précieuses minutes. Ils ont ensuite été engloutis par la vague alors qu’ils commençaient à évacuer vers les hauteurs.
Le prix Irie Taikichi Memorial Photo award reçu en 2021 célèbre le talent de cet artiste de la dure réalité. Yuki Iwanami a mis son appareil photo au service de la documentation et du témoignage de la vie après la catastrophe.
- Site officiel de l’artiste : https://www.yukiiwanami.com/
- Irie Taikichi Memorial Museum of Photography Nara City : http://irietaikichi.jp/
- Fiche de la photo de presse primée au Prix de la photographie Paris, 2013 : https://px3.fr/winners/px3/2013/3983/
- Threads in the Dark, 2021, publié chez Irie Taikichi award Executive Commitee. Titre japonais : 紡ぎ音. Texte en japonais et anglais
- One last hug, 2020, publié chez Seigensha. Titre japonais : 命を捜す. Texte en japonais et anglais
Poteaux électriques 🎧
INSTANT POD
Poteaux électriques de Tomoaki Makino (牧野智晃)

Suginami-ku Honan. 35°41’02.2”N 139°39’31.2”E © Tomoaki Makino
Temps d'écoute ⏰ 3 min 11
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Bienvenue sur Instant POD, le podcast minute de Charlène pour Sugoi Photo consacré l’actualité photographique nippone. Instant POD, c’est un mot-clé, un artiste ou une photo en lien avec cette actualité pour en découvrir plus sur la photo japonaise contemporaine.
Aujourd’hui, nous nous intéressons aux poteaux électriques !
Le poteau électrique tokyoïte est le sujet exclusif d’une série du photographe Tomoaki Makino. Série présentée à la galerie Kana Kawanishi, à Tokyo, au printemps 2021. Dans ces tirages en noir et blanc, Tomoaki Makino met en lumière une des particularités surprenantes de la ville de Tokyo : l’omniprésence des poteaux et câbles dans le paysage urbain.
Dès que l’on lève les yeux, on ne peut y échapper : les lignes électriques, téléphoniques, de fibres optiques, de TV… forment comme une toile d’araignée au-dessus de la tête des passants, dans les quartiers commerciaux comme dans les zones pavillonnaires. Totems étranges du Japon, il y aurait 34 millions de poteaux électriques dans l’Archipel pour 1,2 million de km de câbles. Seuls 8% de la totalité des câbles sont enterrés à Tokyo, contre 100% à Paris, par exemple.
Les photographies de Tomoaki Makino nous présentent ces créatures tentaculaires de béton ou de bois, sur lesquelles s’accrochent diverses excroissances : feux de signalisation, caméras de surveillance, plaques des noms d’avenues et quartiers…
À la fois utiles et véritables verrues esthétiques, les poteaux électriques tokyoïtes de Tomoaki Makino symbolisent la malédiction de l’utilitaire bon marché, héritages de la reconstruction rapide de la ville, avec peu de moyens, après sa destruction quasi-totale lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, 75 ans après, le Japon construit toujours plus de poteaux électriques qu’il n’enterre de câbles.
Pour Tomoaki Makino, la question est de savoir si l’avenir verra disparaître ces poteaux, ou bien si les institutions politiques choisiront d’en faire un héritage industriel et décideront de les garder pour de bon. Le photographe a donc indiqué dans tous ses titres, non seulement le nom de l’arrondissement et du quartier où la photographie a été prise, mais aussi les coordonnées GPS du lieu exact, afin qu’un jour, n’importe quand, n’importe qui, puisse se rendre à cet endroit, et témoigner pour les générations futures si le poteau électrique tokyoïte est toujours là.
- Site officiel de l’artiste : https://www.shinogo45.com/works
- Galerie Kana Kawanishi : https://www.kanakawanishi.com/tomoaki-makino-works
- Musubi - Reliez le Japon, « La vérité sur les poteaux électriques japonais » : https://www.youtube.com/watch?v=0XH7A9AXlrI
podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo
「empathize」 🎬
Jun Fujiyasu|「empathize」
Jun Fujiyasu nous présente ici son projet le plus récent, 「empathize」.
Ce projet a été exposé au musée de la photographie contemporaine de Tokyo, Top Museum, dans le cadre de l'exposition "Close-up Universe - Contemporary Japanese Photography vol.16 " (du 30 novembre 2019 au 26 janvier 2020).
Depuis sa naissance, Jun Fujiyasu est confronté à un questionnement récurrent sur son statut de jumeau. La première de ces questions est : "Doit-je être conscient que je suis un jumeau ?" La deuxième interrogation est plutôt une peur, une peur de l'artiste qu'il soit confondu avec son frère.
Ce projet a aidé le photographe à répondre à ces interrogations, lui permettant d'affirmer sa propre identité face à son frère. En rencontrant d'autres jumeaux et en les photographiant, Jun gagne en empathie, et peu à peu, répond à ses questions tout en proposant un projet photographique, un efficace et troublant témoignage de cette question d'identité.
Pour consulter le site de l'artiste : cliquer ici
pour consulter le site de l'exposition : cliquer ici
MARRONNIER|Yasuyuki TAKAGI
VIEWING ROOM
Yasuyuki Takagi nous présente ici son projet le plus récent, MARRONNIER.
" Quand j'étais jeune, il y avait dans chaque quartier de petits labo-photos familiaux offrant un développement en une heure. Les gens déposaient leur pellicule après leur petite sortie de la journée ou après leur occasion spéciale...
... Maintenant, avec l'ère numérique et les téléphones équipés d'appareils photo, très peu de ces endroits existent encore. Il y a une photographie d'une devanture de labo-photo abandonné que j'ai prise il y a de nombreuses années. On peut lire sur l'enseigne de la devanture "photo service station MARRONNIER ". Je suis sûr que c'était autrefois un endroit où les voisins ont déposé leur film de la même manière que moi. Ces lieux de quartier révélaient la vie des gens en photographies à conserver , pour se souvenir."
Le livre MARRONNIER est une collection de photographies trouvées dans les archives familiales ou prises par Yasuyuki Takagi lui-même. Les négatifs trouvés et développés proviennent de la famille du photographe. Ils datent des années 50, du début des années 60 et de nos jours. Les photographies résultant de cet héritage sont mélangées aux propres photographies prises par Yasuyuki Takagi. Elles sont de tout type, des photographies couleur et noir et blanc, 35mm, demi-cadre, moyen, films grand format et Polaroids périmés.
Les photographies, présentées dans ce projet, sont accompagnées d'un texte de Marcelline Delbecq que vous pouvez entendre dans la vidéo, lisant un extrait de son texte.
Un texte de Russet Lederman "Memory and Life’s Footprints " préface ce projet. En voici un extrait :
"Aussi facile qu’il soit de classer comme journal intime un album contenant des photos de famille, ce serait trop simpliste dans le cas de Marronnier. L’espace créé par Yasuyuki Takagi est en effet une toile complexe tissée de photographies d’archive et contemporaines, suivant une ligne de temps fluide qui ondule aisément entre passé et présent. Son propos visuel, auquel s’ajoutent les fragments poétiques écrits par Marcelline Delbecq, évoque un ensemble d’expériences universelles et de souvenirs communs en constante évolution. A l’instar des denkbilder (images-pensées) fragmentaires de Walter Benjamin, Yasuyuki Takagi et Marcelline Delbecq tissent un maillage d’expériences ordinaires qui résistent aux définitions closes. Ensemble, ils invitent à une errance de l’esprit, à repenser l’idée de famille, à nous confronter à nos vies et nos morts, tant collectives qu’individuelles."
Ken Kitano|Gathering Light
Ken Kitano nous présente ici son projet le plus récent, Gathering Light. Il a commencé ce projet sur la lumière après la catastrophe de Fukushima en 2011. Kitano a installé une caméra sur un toit du solstice d'hiver au solstice d'été pour créer une longue exposition. Au bout de six mois, il a soigneusement retiré l'appareil et récupéré le film. Une fois développées, les images ont été ajustées pour rassembler les informations capturées par le film ; les traces invisibles de la lumière sont remontées à la surface. Restées inchangées depuis 4,6 milliards d'années, la révolution de la Terre et la rotation du cosmos sont gravées dans les photographies par une myriade de lignes. L'image apparaît et montre ce que l'œil humain était incapable de percevoir. Pour Kitano, c'est la quintessence de la photographie.
Kitano vit à Tokyo, où il est né en 1968. En 1991, il a été diplômé du Collège de technologie industrielle de l'Université Nihon. Il est photographe indépendant depuis 2003. Il a remporté le "Society of Photography Award" en 2004 et le "Newcomer's Award" de la Société photographique du Japon en 2007. En 2011, il a remporté le " New Photographer Award " du 27e Higashikawa Award et le " Special Prize " du 14e Taro Okamoto Award for Contemporary Art. Il a participé à de nombreuses expositions individuelles et collectives au Japon et à l’étranger.
Cette série photos a été présentée dans deux expositions :
A New River|Ai IWANE
«Kipuka» est un mot hawaïen qui signifie la végétation trouvée dans les ruines de la lave du volcan, ce qui signifie un «lieu de vie nouvelle» comme symbole de renaissance. J'ai continué mes voyages entre Hawaï et Fukushima avec ce mot toujours dans mon cœur.
Tout en poursuivant mes recherches sur la chanson "Fukushima-Ondo", que les immigrés de Fukushima ont transmis avec eux à Hawaï, j'ai rencontré un joueur de tambour pour le dance Bon qui m'a conduit à installer ma base à Miharu, Fukushima. Apprendre leur dance Bon, leurs festivals et leur riche culture folklorique signifiait en fait apprendre ce que ces personnes en évacuation avaient perdu.
Les tombes inclinées laissées dans les zones difficiles d'accès à Fukushima m'ont rappelé les tombes des premières générations d'immigrants japonais à Hawaï. Les villages de cannes à sucre dans lesquels les immigrés japonais avaient bâti avaient soit disparu, abandonné à l'état sauvage, avalé par la lave du volcan, soit emporté par les vagues et abandonné au bord de la mer.
Le mécanisme de l'appareil photo panoramique «Kodak Cirkut» qui avait été utilisée dans un studio photo à Maui dans les années 1930 a été réparée par Haruyuki Ouchi, un artisan d'un horloger à Miharu, Fukushima, en 2013, et a recommencé à fonctionner. Comme j'avais commencé à interroger les habitants de Tomioka et Katsurao qui évacuaient à Miharu à ce moment-là, je leur ai demandé de m'emmener dans leurs anciennes maisons et champs, car je voulais prendre des photos de la zone Hamadori d'où provenait le Fukushima Ondo.
L'appareil cirkut tournait à 360 degrés avec son film de deux mètres, et connectait automatiquement le site qu'ils voyaient quotidiennement dans un cercle sans mon cadrage. J'ai continué à photographier les zones difficiles d'accès, y compris les évacuateurs d'Okuma, Futaba, Namie et Iidate.
En 2014, j'ai rapporté le cirkut à Hawaï et j'ai recherché les tombes abandonnées des premières générations d'immigrants japonais dans les six îles où ils ont émigré, à savoir Kauai, Oahu, Maui, Lanai, Molokai et l'île d'Hawaï. En 2018, la carte de l'île d'Hawaï a été renouvelée à nouveau, avec la vaste lave volcanique qui s'est déversée pour la première fois en vingt ans, engloutissant 700 maisons.
Les paysages peuvent parfois disparaître en une seconde. Cependant, bien que loin de chez eux, les graines des vies qui ont survécu se répandraient à nouveau et transformeraient à nouveau la terre noire en forêt.
Ai Iwane est née à Tokyo. Elle a déménagé aux États-Unis et s'est inscrite au lycée de Petrolia en 1991. Elle a mené une vie autonome pendant ses études. En 1996, elle devient photographe indépendante après avoir travaillé comme assistante au Japon. Tout en travaillant avec des magazines et l'industrie de la musique, Iwane a visité et étudié des communautés uniques dans différents pays, notamment la prison de Muntinlupa aux Philippines (2010), Nikulin Circus en Russie (2011) et Sanxia, Taipei Veterans Home à Taiwan (2012). Depuis 2006, Iwane s'est concentrée sur la culture de la communauté japonaise à Hawaï et elle a installé sa deuxième base à Miharu, Fukushima en 2013. Depuis, elle a continuellement examiné la pertinence entre Hawaï et Fukushima du point de vue de l'immigration et a focalisé ses recherches sur ce sujet.
Cette série photos a été présentée à de nombreuses occasions dont :