INSTANT POD
Takashi HOMMA (ホンマタカシ) : 36 vues du Mont Fuji
Takashi HOMMA (ホンマタカシ) : 36 vues du Mont Fuji
Pour écouter ce podcast
LE TEXTE DU PODCAST
(Le podcast est uniquement en français. Pour la traduction anglaise, vous trouverez ci-dessous le texte qui sera automatiquement traduit en anglais en cliquant sur le drapeau anglais)
Bienvenue sur Instant POD, le podcast minute de Charlène pour Sugoi Photo consacré l’actualité photographique nippone. Instant POD, c’est un mot-clé, un artiste ou une photo en lien avec cette actualité pour en découvrir plus sur la photo japonaise contemporaine.
Aujourd’hui, nous nous intéressons au Mont Fuji vu par le photographe Takashi Homma.
Photographe de renommée internationale, Takashi Homma est né à Tokyo en 1962. Après des études au Nihon University College of Art, il a débuté sa carrière dans une agence de publicité à Tokyo, avant de déménager à Londres en 1991 afin de travailler pour le magazine lifestyle i-D.
De retour au Japon, Takashi Homma a commencé à explorer divers aspects de la vie urbaine. Il publie sa monographie Tokyo Suburbia en 1998, qui lui vaut le prix Kimura Ihei en 1999. La ville de Tokyo est ensuite devenue un des sujets centraux de sa carrière de photographe. Parmi ses séries, on compte Tokyo Children (2001), Tokyo and my Daughter (2006) ou encore Tokyo (2008), et de nombreux livres tel Every Building on the Ginza Street (2019), offrant toujours une perspective unique sur la vie urbaine de la capitale nippone, et les relations entre l’individu et son environnement.
Son nouvel opus Thirty-Six Views of Mount Fuji (36 vues du Mont Fuji, en français) sorti en octobre 2023 chez Mack, se place dans cette continuité des explorations photographiques de Tokyo et ses environs. A ceci près que le photographe confronte cette fois-ci sa vision du volcan sacré Fujisan situé au sud-ouest de Tokyo à celle d’un géant du passé de l’estampe de paysage : Katsushika Hokusai (1760-1849).
En effet, le thème et même le titre Trente-Six Vues du Mont Fuji, sont un emprunt à l’œuvre emblématique de Hokusai. Créée entre 1831 et 1833, cette série de 46 (et non 36 !) estampes polychromes (autrement dit des impressions à l’encre sur papier, obtenues à partir de blocs de bois gravés) est entièrement consacrée au Mont Fuji sous différents angles, depuis de multiples lieux, et à diverses saisons.
En s’inspirant de Hokusai, Takashi Homma a non seulement rendu hommage à cette œuvre emblématique de la tradition graphique japonaise, mais il a surtout apporté sa propre interprétation contemporaine d’un sujet exploité par des artistes nippons depuis le 11e siècle.
Takashi Homma a ainsi exploré la tension actuelle entre la nature et l’urbanisation moderne autour de ce volcan sacré. En effet, si l’on se penche sur les vues du Mont Fuji de Hokusai, relativement peu d’estampes montrent des constructions architecturales – ou s’il y en a, il s’agit d’un pont ou d’une hutte isolée d’ermite ou encore de 2 ou 3 maisonnettes en bois d’un minuscule village. L’Homme, lui, est présent sur plus de ¾ des vues.
A l’inverse, dans la série de Takashi Homma, l’humain n’est présent que par ses multiples constructions : il n’a plus de corps, mais sa présence est avérée par une mer de toitures de maisons, des gratte-ciel, des ports bétonnés ou encore quelques squelettes de métal de chantier. Le majestueux Mont Fuji apparaît alors minuscule, tel un simple grain de riz dans l’horizon de l’image, parfois perdu entre deux immeubles qui le dépassent au premier plan de la photographie.
Depuis la seconde moitié des années 2010, Takashi Homma a réalisé 36 ensembles de prises de vues formant ses 36 vues du Mont Fuji. A l’aide de la technologie numérique et de sténopés (images obtenues par un dispositif en forme de boite de type chambre noire, dont l’une des faces est percée d’un petit trou dans une mince plaque métallique), Takashi Homma a réalisé un corpus mêlant noir et blanc et couleurs, collages de vues, photo unique, et montage d’images avec une carte topographique de la région. Cet ensemble hétéroclite offre également des vues du Mont Fuji, en gros plan ou pris de très loin depuis le toit d’un immeuble, de nuit ou de jour, aux contours nets ou floutés, et même plusieurs vues du Mont Fuji exposées à l’envers ! On pourrait voir ici un clin d’œil à l’une des estampes de Hokusai présentant le Mont Fuji et son reflet inversé dans l’eau… Ou bien, il pourrait s’agir d’une volonté de transgresser la représentation « canonique » de cet emblème nippon… Mais il semble plus probable d’y voir le résultat du sténopé, qui produit une image à l’envers sur la paroi de la boite.
Pour finir, le parallèle choisi par Takashi Homma avec la série de Hokusai s’avère également fécond du point de vue de la technique et des supports, puisque l’estampe comme la photographie produisent des multiples sur papier, mettant ainsi à mal l’idée de l’œuvre d’art unique.
Dans cette série, Takashi Homma adopte une approche unique du Mont Fuji, à la fois neutre et poétique, parfois faussement scientifique, offrant une nouvelle perspective entre tradition et modernité de ce symbole séculaire du Japon.
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
(podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image ©Takashi HOMMA)