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SILENCE BLEU
Kyoko Kasuya (糟谷恭子), artiste de la « résonance universelle »
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Temps d’écoute ⏰ 6 minutes 42
LE TEXTE DU PODCAST
(Le podcast est uniquement en français. Pour la traduction anglaise, vous trouverez ci-dessous le texte qui sera automatiquement traduit en anglais en cliquant sur le drapeau anglais)
Bienvenue sur Instant POD, le podcast minute de Charlène pour Sugoi Photo consacré l’actualité photographique nippone. Instant POD, c’est un mot-clé, un artiste ou une photo en lien avec cette actualité pour en découvrir plus sur la photo japonaise contemporaine.
Aujourd’hui, nous nous intéressons à l’œuvre de la photographe Kyoko Kasuya.
Née en 1980 au Japon, Kyoko Kasuya est une artiste-réalisatrice, également commissaire d’exposition et auteure. Son travail se déploie sous plusieurs formes : photographies, vidéos, installations et éditions. Lauréate de diverses bourses internationales récompensant ses travaux photographiques et filmiques, elle a obtenu en 2023 la bourse japonaise Allotment travel award ouvrant la voie à un nouveau travail sur la vie des femmes en Arabie Saoudite. Elle vit et travaille en France depuis 2006.
Du 13 janvier au 24 février 2024, dans le cadre de l’exposition suisse Femmes Objectif Japon - 6 photographes japonaises donnent leur vision de la photographie d’aujourd’hui, Kyoko Kasuya présentera son film Silence bleu. Il s’agit d’une fiction inspirée par des archives écrites japonaises transposées dans un contexte français, afin de mieux souligner la transversalité et l’universalité des expériences et des sentiments humains, au-delà des nationalités et des origines. Un travail sur une sorte de « résonance universelle » des peuples qui caractérise l’œuvre de Kyoko Kasuya et prend racine dans son histoire personnelle.
Diplômée en littérature afro-américaine, Kyoko Kasuya intègre l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier à son arrivée en France, d’où elle sortira diplômée en 2013. Loin de s’imaginer devenir artiste, Kyoko Kasuya pensait à revenir au Japon, quand la terrible catastrophe du 11 mars 2011 a touché la côte Est de l’Archipel. Depuis Paris, elle assiste à la déferlante d’images médiatiques choquantes montrant les ravages du tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima. Contre l’avis de sa famille au Japon, elle se rend sur place, dans le Tohoku, pour découvrir par elle-même l’ampleur du désastre. Toutefois, ce qui va marquer le plus Kyoko Kasuya, c’est le décalage entre les informations diffusées en France et au Japon : dans l’Archipel, les médias taisent de nombreuses choses, les non-dits se mêlant à la désinformation.
De retour à Montpellier, Kyoko Kasuya embrasse alors réellement sa vocation d’artiste, prenant conscience du pouvoir des médias et de l’art. Grâce au recul induit par sa vie en France, elle interroge sans relâche l’histoire du Japon, ce qui la constitue et la différencie de la pensée occidentale. Au-delà des nationalités, pour la postérité, Kyoko Kasuya travaille sur les concepts de mémoires personnelle et collective, et leur résonance universelle. Elle lutte contre « l’amnésie » des peuples face aux catastrophes humaines et sociétales, et la tendance révisionniste que cela induit.
Son film Silence bleu réalisé en France en 2022 et présenté en Suisse, est en réalité la suite d’un premier court métrage intitulé Listen to the Voices of the Sea, un hommage au film éponyme de Hideo Sekigawa, sorti au Japon en 1950. Ce film était une adaptation d’un recueil de 1949 de lettres d’étudiants japonais morts durant la guerre du Pacifique lors de la Seconde Guerre mondiale. Destinées à leurs proches, plusieurs lettres et journaux intimes – dont celui de Hachiro Sasaki qui a inspiré Kyoko Kasuya – émanaient de jeunes gens que le gouvernement nippon a envoyé à une mort certaine sous la forme de kamikaze (« souffles divins » en japonais), autrement dit des pilotes d’avions sacrifiés à qui l’on ordonnait de s’écraser sur la flotte américaine.
A la fois touchée et choquée par leurs mots, leur courage, leurs peurs, Kyoko Kasuya a décidé de transposer ces récits japonais à la vie de jeunes recrues françaises tout autant sacrifiées sur les champs de bataille au nom de la nation. Silence bleu met en scène Noé Teissier, personnage fictif inspiré du kamikaze Norimitsu Takushima. Noé est un jeune universitaire français appelé sous les drapeaux afin d’accomplir son devoir. Pendant environ 14 minutes, nous le voyons évoluer dans sa caserne, soumis aux brimades de son supérieur. Une voix off française accompagne la vidéo, faisant la lecture des lettres que Noé envoie à sa fiancée Adèle ; lettres directement inspirées des mots du soldat Norimitsu Takushima, retravaillées par l’artiste, et dont le sens s’adapte étonnamment bien à la mise en situation française, qui bien que fictive démontre l’universalité des sentiments humains tels l’amour et la peur de la mort. A l’image des jeunes soldats japonais, Noé est conscient de son devoir, tout en ne songeant qu’à la vie, à l’amour et à la liberté, aux antipodes de la dure réalité de la guerre.
Kyoko Kasuya propose une lecture plus universelle de la situation de ces jeunes hommes – japonais comme français, du passé comme d’aujourd’hui – soumis par l’autorité militaire à un destin qu’ils n’ont pas choisi. Elle revendique ainsi une nouvelle lecture, plus universelle, de la mémoire, des actes et surtout des mots/maux communs à l’Humanité précipitée dans le désespoir…
Charlène Veillon
Historienne de l’art. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de Kyoko Kasuya : https://www.kyokokasuya.net/
- Exposition Femmes Objectif Japon - 6 photographes japonaises donnent leur vision de la photographie d’aujourd’hui, sous la direction de Sophie Cavaliero, du 13 janvier au 24 février, Art Now Projects 60 rue Ancienne 1227 Carouge-Genève, Suisse
- Kyoko Kasuya, Silence bleu : film fiction couleur, 14'13", 4K, 2022
- Kyoko Kasuya, Listen to the Voices of the Sea, vidéo couleur, 5’43’’, Full HD, 2019
(podcast © Charlène Veillon & sugoi.photo, image ©Kyoko Kasuya)