
©  Yuki Iwanami
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11 minutes
INSTANT POD
(Le podcast est uniquement en français. Pour la traduction anglaise, vous trouverez ci-dessous le texte qui sera automatiquement traduit en anglais en cliquant sur le drapeau anglais)
Bienvenue sur Instant POD, le podcast minute de CharlĂšne pour Sugoi Photo consacrĂ© lâactualitĂ© photographique nippone. Instant POD, câest un mot-clĂ©, un artiste ou une photo en lien avec cette actualitĂ© pour en dĂ©couvrir plus sur la photo japonaise contemporaine.
11 mars 2011 - 11 mars 2022, photographies de la vie aprĂšs la catastrophe par Yuki Iwanami (ćČ©æłąćçŽ)
podcast ©  CharlÚne Veillon & sugoi.photo
Pour ce SUGOI POD de mars 2022, lâactualitĂ© nous porte vers un sujet grave : le 11e anniversaire de la catastrophe survenue le 11 mars 2011 au Japon. Ce jour-lĂ , un sĂ©isme, suivi dâun tsunami, ont ravagĂ© la cĂŽte est du pays, entraĂźnant une catastrophe nuclĂ©aire dans la centrale de Fukushima. Depuis cette date fatidique du 11 mars 2011 jusquâĂ aujourdâhui, de nombreux artistes, dont de nombreux photographes, ont ressenti le besoin de se rendre sur les lieux du drame. Que ce soit pour aider, critiquer, tĂ©moigner ou encore documenter les Ă©vĂ©nements qui se sont acharnĂ©s sur cette rĂ©gion. Documenter lâhumanitĂ© face Ă la catastrophe est justement un des sujets de prĂ©dilection du photojournaliste japonais Yuki Iwanami, que lâactualitĂ© place aujourdâhui sous les projecteurs de SUGOI POD ! En effet, sa rĂ©cente sĂ©rie Threads in the dark, consacrĂ©e au difficile et lent retour Ă la normalitĂ© des habitants sinistrĂ©s du Tohoku, vient de remporter en 2021 le prix du musĂ©e mĂ©morial de photographie Irie Taikichi.
Qui est Yuki Iwanami ? NĂ© en 1977 Ă Nagano, il a dĂ©butĂ© sa carriĂšre de photojournaliste en 2001. CarriĂšre qui lâa menĂ© Ă couvrir des sujets difficiles au Cambodge, au Pakistan ou encore en Afghanistan, mais aussi Ă documenter le dĂ©sastre nuclĂ©aire de Fukushima et les dĂ©vastations du tsunami de 2011. En 2003, il commence Ă travailler pour le journal japonais Yomiuri Shinbun, considĂ©rĂ© comme un des quotidiens les plus vendus au monde. Ses photos de presse ont remportĂ© de nombreuses rĂ©compenses, dont par exemple le Prix de la photographie Paris en 2013 avec sa photo intitulĂ©e « PrivĂ©e de sa mĂšre par le tsunami ». Cette image en noir et blanc montre en son centre la petite Yuzuha Suzuki, 2 ans, dans les bras de son pĂšre, dans la ville dâOnagawa, complĂštement dĂ©truite par la vague. La fillette, privĂ©e de sa mĂšre et de son foyer, regarde lâobjectif. Son pĂšre, de dos, essaie de se frayer un chemin parmi les carcasses de voitures et de dĂ©bris divers.
La photo de presse tient une place importante dans lâhistoire de la photographie japonaise. Elle se dĂ©veloppe dans les annĂ©es 1930, soutenue par lâessor des journaux et la crĂ©ation des premiers magazines photographiques. Elle pose les bases de la photographie documentaire des annĂ©es 1950, qui tĂ©moignera de la rĂ©alitĂ© sociale et des misĂšres de lâaprĂšs-guerre. Cette tendance documentaire a fait son come-back sur la scĂšne artistique nippone aprĂšs la tragĂ©die de 2011.
Yuki Iwanami, photographe freelance depuis 2015, a donc la particularitĂ© de se partager entre photojournalisme et photographie dâart. La frontiĂšre entre les deux genres est trĂšs mince, voire mĂȘme totalement permĂ©able, lorsque lâon parle de photographie documentaire ou de la veine rĂ©aliste. Les derniĂšres sĂ©ries de Yuki Iwanami que nous allons maintenant dĂ©couvrir ne sont pas des photos de presse, mĂȘme si leur but est bien de tĂ©moigner dâune situation difficile. LâĆuvre photographique primĂ©e Threads in the dark, littĂ©ralement « fils dans lâobscuritĂ© », est une illustration de la rĂ©silience des festivals de la rĂ©gion du Tohoku, qui continuent malgrĂ© tout Ă se produire dans les zones sinistrĂ©es. Une dĂ©cennie aprĂšs la catastrophe, la vie est toujours trĂšs pĂ©nible pour les locaux qui nâont parfois jamais retrouvĂ© de maison dĂ©cente, et qui vivent encore dans des abris Ă lâorigine temporaires. La communautĂ© locale, ou ce quâil en reste, organisant ces festivals avec les moyens du bord depuis 2011, est dâun grand soutien moral et psychologique pour ces populations fragilisĂ©es.
Les photographies de Yuki Iwanami dĂ©montrent le besoin social humain viscĂ©ral derriĂšre lâapparente futilitĂ© dâune fĂȘte. Cette sĂ©rie capture la rĂ©alitĂ© des survivants du 11 mars 2011, qui tentent « un retour Ă la normale » dans un monde encore totalement chamboulĂ©.
Attardons-nous un instant sur quelques images tirĂ©es de cette magnifique et touchante sĂ©rie en couleurs. Ici, une miko, une prĂȘtresse shintĂŽ, pose seule en tenue traditionnelle blanche et rouge sur une plage. Il faut savoir que chaque annĂ©e, Ă la date anniversaire du 11 mars, des cĂ©rĂ©monies religieuses se tiennent sur les plages en mĂ©moire des disparus emportĂ©s par la vague. LĂ , une photo de danseurs en costumes traditionnels sâinclinant devant des statues de divinitĂ©s bouddhiques faisant face Ă la plage ; divinitĂ©s censĂ©es protĂ©ger les habitants des foudres de lâocĂ©an. LĂ encore, la photo dâun vieux clichĂ© en noir et blanc abĂźmĂ© par les Ă©lĂ©ments, reprĂ©sentant des danseurs locaux de shishi odori, « la danse des cerfs ». Traditionnellement, les performances de shishi odori se dĂ©roulent durant la pĂ©riode estivale dâObon, une fĂȘte bouddhiste honorant les esprits des ancĂȘtres. Mais le shishi odori, par ailleurs originaire du Tohoku, est aussi pratiquĂ© en hommage aux dĂ©funts lors des festivals. Une autre photographie montre sur un fond noir, un masque brisĂ© de danseur. RetrouvĂ© dans les dĂ©bris aprĂšs le passage de la vague, ce masque nous regarde du seul Ćil qui lui reste. Dans Threads in the dark, Yuki Iwanami montre les liens tissĂ©s entre les populations et leurs festivals locaux, qui ont rĂ©sistĂ© ensemble Ă la vague et aux secousses. Comme le titre lâindique, Threads in the dark montre des hommes, des femmes, des enfants unis les uns aux autres comme reliĂ©s par des fils invisibles qui transcendent lâobscuritĂ©.
Yuki Iwanami a rĂ©alisĂ© dâautres sĂ©ries tĂ©moignant des terribles souffrances des populations ayant vĂ©cu la tragĂ©die du 11 mars 2011. Prenons lâexemple de la sĂ©rie One last hug (un dernier cĂąlin) Ă©ditĂ©e en 2020. Cette sĂ©rie mĂȘle photographies et rĂ©cits centrĂ©s sur trois pĂšres qui continuent de rechercher leur enfant disparu, emportĂ© par le tsunami. Car aujourdâhui, 11 ans aprĂšs la catastrophe, un peu plus de 2 500 personnes sont toujours portĂ©es disparues, pour environ 16 000 morts... La sĂ©rie se dĂ©roule dans 3 lieux particuliĂšrement touchĂ©s par la vague : lâĂ©cole Ă©lĂ©mentaire municipale Okawa de la ville dâIshinomaki, la ville de Minamisoma, et celle dâOkuma. One last hug tĂ©moigne du dĂ©sir naturel des pĂšres de savoir ce quâil est advenu de leurs enfants, jamais retrouvĂ©s. Il sâagit dâune mise en lumiĂšre de parents qui se sentent oubliĂ©s du reste de la population et des autoritĂ©s, trop pressĂ©s de tourner la page. Ces familles ne peuvent pas faire le deuil, mais elles continuent leur bataille solitaire, encouragĂ©es par quelques miracles rĂ©cents comme le corps de cette femme de 61 ans retrouvĂ© en 2021, 10 ans aprĂšs sa disparition. Les photos couleurs de One last hug vous prennent Ă la gorge. Comme ces images de vĂȘtements dâenfants couverts de la boue du tsunami, disposĂ©s Ă plat, reprenant la forme dâun petit corps. La sĂ©rie alterne des photographies en plan large dâefforts de recherche Ă grande Ă©chelle, avec des zooms sur des objets de disparus retrouvĂ©s ensevelis dans le sol. On trouve aussi des souvenirs plus personnels, comme des images de veillĂ©es Ă la bougie ou des textes et dessins dâenfants.
Ces photographies nous confrontent aux questions difficiles et douloureuses de la perte, du deuil, du souvenir. Ces fantĂŽmes dâenfants disparus, dont il ne reste que quelques vĂȘtements sur une image, semblent nous interroger sur le sens mĂȘme de lâexistence.
En termes de rĂ©ponse, câest la Cour suprĂȘme du Japon qui sâest adressĂ©e Ă ces familles Ă la fin de lâannĂ©e 2019, en confirmant la dĂ©cision de justice de 2016, puis de 2018, dâaccorder lâĂ©quivalent de plusieurs millions dâeuros aux parents de 23 enfants ayant trouvĂ© la mort le 11 mars 2011 Ă lâĂ©cole primaire Okawa dâIshinomaki. Pour la triste histoire, ce jour-lĂ , 74 Ă©lĂšves ont pĂ©ri emportĂ©s par les eaux (64 morts et 10 portĂ©s disparus exactement), suite Ă lâinaction de la direction de lâĂ©cole. En effet, aprĂšs les premiĂšres secousses, la direction avait donnĂ© lâordre aux enfants et aux instituteurs dâattendre dans la cour de rĂ©crĂ©ation, oĂč ils ont perdu plus de 40 prĂ©cieuses minutes. Ils ont ensuite Ă©tĂ© engloutis par la vague alors quâils commençaient Ă Ă©vacuer vers les hauteurs.
Le prix Irie Taikichi Memorial Photo award reçu en 2021 célÚbre le talent de cet artiste de la dure réalité. Yuki Iwanami a mis son appareil photo au service de la documentation et du témoignage de la vie aprÚs la catastrophe.
- Site officiel de lâartiste : https://www.yukiiwanami.com/
- Irie Taikichi Memorial Museum of Photography Nara City : http://irietaikichi.jp/
- Fiche de la photo de presse primée au Prix de la photographie Paris, 2013 : https://px3.fr/winners/px3/2013/3983/
- Threads in the Dark, 2021, publiĂ© chez Irie Taikichi award Executive Commitee. Titre japonais : 玥ăéł. Texte en japonais et anglais
- One last hug, 2020, publiĂ© chez Seigensha. Titre japonais : ćœăæă. Texte en japonais et anglais