INSTANT POD
"shishi odori", la danse estivale pour lâĂąme des cerfs
SĂ©rie TOHOKU - Tatsuki Masaru (ç°éć)
1- A Tree with Attached Eyes Tono, Iwate, November 2008
2- Deer Blood, Kamaishi, Iwate, February 2009
3- Shikaodori in Natsuya Area, Kawai Village Miyako, Iwate, October 2009
all pictures © Tatsuki Masaru
Temps d'écoute Ⱐ7 minutes 16
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(Le podcast est uniquement en français. Pour la traduction anglaise, vous trouverez ci-dessous le texte qui sera automatiquement traduit en anglais en cliquant sur le drapeau anglais)
Bienvenue sur Instant POD, le podcast minute de CharlĂšne pour Sugoi Photo consacrĂ© lâactualitĂ© photographique nippone. Instant POD, câest un mot-clĂ©, un artiste ou une photo en lien avec cette actualitĂ© pour en dĂ©couvrir plus sur la photo japonaise contemporaine.
Aujourdâhui, nous nous intĂ©ressons Ă la danse "shishi odori".
Traditionnellement, au Japon, la pĂ©riode estivale rime avec Obon, un festival bouddhiste honorant les esprits des ancĂȘtres. De nos jours, Obon est avant tout un fĂȘte familiale durant laquelle les gens retournent dans leur ville natale et sâoccupent des tombes de leurs ancĂȘtres. Obon se dĂ©roule sur 3 jours, originellement du 13 au 15 juillet, mais le passage au calendrier occidental grĂ©gorien dans la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle a dĂ©placĂ© cette fĂȘte Ă la mi-aoĂ»t dans de nombreuses rĂ©gions. Obon rythme donc tout lâĂ©tĂ© nippon, au grĂ© de ses lanternes allumĂ©es pour guider lâesprit des morts et de ses danses pour se rappeler les disparus.
Si le "bon odori" (danse du Bon) est la plus emblĂ©matique des danses de la pĂ©riode estivale, dâautres prennent Ă©galement place durant lâĂ©tĂ©, toujours en rapport avec la mort et lâĂąme des dĂ©funts. Câest notamment le cas du "shishi odori", la danse des cerfs.
Le shishi odori est originaire du Tohoku, rĂ©gion situĂ©e sur la cĂŽte est de lâĂźle principale Honshu. ConstituĂ©e de montagnes et de forĂȘts, la nature du Tohoku est sauvage et riche en gibiers. Par tradition, câest un territoire de chasse. Cette vie rude et belle a Ă©tĂ© immortalisĂ©e entre 2006 et 2010 par le photographe Tatsuki Masaru (ç°éć), dans sa sĂ©rie intitulĂ©e sobrement "Tohoku". Câest en suivant un groupe de chasseurs de cerfs que Tatsuki Masaru a commencĂ© Ă photographier autant les chasseurs que leur proie.
De sa premiĂšre sĂ©rie "Decotora" dĂ©butĂ©e en 1998 consacrĂ©e au tuning extrĂȘme des camions japonais, jusquâĂ la sĂ©rie "Tohoku", Tatsuki Masaru sâest attachĂ© Ă une description quasi anthropologique de nos sociĂ©tĂ©s. Par son objectif, il tĂ©moigne aussi bien de la dure rĂ©alitĂ© solitaire du camionneur que de la rude existence des habitants des montagnes ou de lâimplacable rĂ©alitĂ© de la chasse.
Parmi les images en couleurs de la sĂ©rie "Tohoku", on trouve bon nombre de photos de cerfs abattus, parfois Ă©corchĂ©s, parfois uniquement des os, parfois simplement leurs bois, parfois un garçon tenant fiĂšrement le cĆur de la bĂȘte en trophĂ©e, ou juste le sang encore chaud de lâanimal sur la neige immaculĂ©e des montagnes. La rudesse de ces photos fait Ă©cho Ă la rudesse de la vie de ces villageois.
Pourtant dans cette rĂ©gion, lâanimal est lâobjet dâune vĂ©nĂ©ration ancestrale bien particuliĂšre. Traditionnellement, dans le folklore du Tohoku, mĂ©lange des religions shinto, bouddhiste et de pensĂ©es animistes, lâesprit des animaux tuĂ©s lors de la chasse est remerciĂ© par une offrande sous la forme dâune danse. Câest lĂ lâorigine du shishi odori.
La danse shishi odori (éčżèžă, que lâon peut Ă©galement traduire par shika odori, littĂ©ralement "la danse du cerf / du chevreuil / du daim", est une offrande pour remercier les esprits des animaux qui ont donnĂ© leur vie â et leur viande â pour nourrir les humains.
Originellement, depuis ses dĂ©buts au XVIe siĂšcle, puis lors de lâĂšre Edo (1603-1868), principalement dans les prĂ©fectures dâIwate et de Miyagi, les performances de shishi odori se dĂ©roulaient durant la pĂ©riode estivale dâObon. Les danses Ă©taient alors pratiquĂ©es aprĂšs une chasse, les danseurs se produisant avec les crĂąnes des chevreuils tuĂ©s. Aujourdâhui, le shishi odori est aussi pratiquĂ© lors dâĂ©vĂšnements festifs liĂ©s aux bonnes rĂ©coltes ou en hommage aux dĂ©funts, par exemple lors des fĂȘtes commĂ©moratives des morts du 11 mars 2011, lorsque le tsunami a frappĂ© les cĂŽtes du Tohoku.
Certaines sources avancent que la danse shishi odori sâinspire des mouvements dâun cerf sauvage, dâautres quâelle mime les gestes dâun agriculteur (le chevreuil Ă©tant traditionnellement associĂ© au monde agricole). Toujours est-il que les masques des danseurs, noirs ou rouges, reprĂ©sentant la tĂȘte dâune crĂ©ature imaginaire proche du lion, doivent ĂȘtre surmontĂ©s de bois de cervidĂ©s. Les chasseurs ont donc pour rĂŽle central de fournir une partie des costumes des danseurs de shishi odori, ce que soulignent les photos de Tatsuki Masaru.
Par un cruel hasard du destin, la sĂ©rie du photographe a Ă©tĂ© publiĂ©e en juillet 2011, juste aprĂšs la tragĂ©die qui a dĂ©vastĂ© les villages photographiĂ©s par Tatsuki Masaru. Bon nombre de chasseurs, de danseurs et de costumes ont Ă©tĂ© emportĂ©s par la vague. Ces images ont donc un rĂŽle mĂ©moriel tout particulier, comme si lâĂąme de ces gens â et des animaux â avait Ă©tĂ© imprimĂ©e sur papier avant leur disparition physique. Ce coup du sort a marquĂ© le photographe qui a poursuivi aprĂšs 2011 son travail sur les chasseurs de cerfs du Tohoku, dans ce quâil restait de leur rĂ©gion dĂ©vastĂ©e. Il a ainsi rĂ©alisĂ© en novembre 2011 le documentaire "Is the blood still red?", ou encore les sĂ©ries "Never Again" sur le renoncement dâun chasseur suite Ă la dĂ©couverte de substances radioactives dans la nourriture des cerfs, et "Kuragari", sur sa rencontre nocturne avec un cerf dans une forĂȘt.
Câest comme si Tatsuki Masaru Ă©tait hantĂ© par lâesprit des cerfs du Tohoku depuis sa rencontre avec les chasseurs. Peut-ĂȘtre est-ce lĂ la clef de la comprĂ©hension du shishi odori : une cĂ©lĂ©bration de la vie qui passe et se transmet entre les ĂȘtres encore vivants.
CharlĂšne Veillon
Historienne de lâart. Docteure en photographie japonaise contemporaine
- Site officiel de Tatsuki Masaru : https://tatsukimasaru.com/
- Tatsuki Masaru, Tohoku, éditions Little More, 2011.
- https://www.galleryside2.net/en/artists/masaru-tatsuki/
podcast ©  CharlĂšne Veillon & sugoi.photo, image © Tatsuki MasaruÂ